MÉDIAS

Coanimatrice de la matinale de France Inter, du prime time politique Elysée 2022 et de l’émission hebdomadaire On est en direct, avec Laurent Ruquier sur France 2, Léa Salamé sera la femme qui interviewera le plus de politiques durant la campagne électorale. Rencontre avec une journaliste puissante, à la plus large audience.

À l’orée de cette année électorale, vous occupez trois postes surexposés : la matinale de France Inter, le prime time Elysée 2022 et On est en direct avec Laurent Ruquier sur France 2. 2022 sera-t-elle votre année la plus intense professionnellement ?

LÉA SALAMÉ. En termes d’ampleur de travail, oui. Notamment depuis que j’ai ajouté On est en direct le samedi soir qui me mobilise jusqu’à 2h du matin. Il n’y a pas un jour où je ne prépare pas des questions. J’avais vécu la présidentielle de 2016 en première ligne avec David Pujadas sur France 2 et Patrick Cohen sur France Inter. J’avais l’impression de jouer ma vie à chaque interview. Depuis, j’ai compris que pour tenir, il ne faut pas se laisser submerger par le stress et la pression.

Comment y parvenez-vous ?

Ce sont sûrement les bénéfices de l’âge, de l’expérience et du travail.

Quels sont vos mots d’ordre pour cette année électorale ?

D’abord, la précision. Elle est essentielle dans un monde qui va si vite, avec la propagation des fake news et la présence des réseaux sociaux. Certains militants tentent d’y déstabiliser les journalistes en s’en servant de caisse de résonance. Ensuite le calme, parce que cette campagne électrique et hystérique vous fracasse comme une mer déchaînée si l’on n’est pas posé. Et enfin l’audace, une belle qualité qui préserve de l’ennui.

Les sondages sont omniprésents dans cette campagne. Ne sont-ils pas le stigmate d’une facilité journalistique, qui élude l’analyse ou l’enquête ? Surtout quand on voit leurs limites à l’aune des précédents scrutins…

Ils demeurent un baromètre, même s’ils ne sont pas suffisants. Dans le cas d’Éric Zemmour, les sondages ont perçu son émergence depuis septembre. Ils permettent d’analyser les dynamiques dans le pays.

Marine Le Pen et Éric Zemmour souhaitent la privatisation du service public. Comment l’entendez-vous, vous qui y travaillez exclusivement ?

Ils ont le droit d’avoir ce projet. Et s’ils sont élus, ils le feront. Ou pas. Le service public est un repère pour des millions d’auditeurs et de téléspectateurs dans un monde qui se transforme. France Télévisions et Radio France sont leaders en France, et plébiscités. Ils proposent des centaines de milliers d’heures de programmes culturels, pour enfants, de podcasts, de création que le privé ne peut pas proposer. Ces candidats peuvent décider de se passer de cette richesse, mais ce serait dommage.

L’hyperconcentration des médias qui se retrouvent aux mains de milliardaires dont Vincent Bolloré est-elle un enjeu démocratique, selon vous ?

On regarde tout cela avec vigilance car cela change forcément le paysage médiatique et donc démocratique. C’est une raison de plus pour laquelle un service public fort est capital pour la vie démocratique.

Cet automne, Le Figaro Magazine a fustigé un service public trop à gauche quand Libération s’en prenait au casting d’éditorialistes de 7h20, jugés trop à droite sur France Inter. Comprenez-vous ces attaques ?

Il faut toujours se remettre en cause et j’entends la critique. Mais elle est, là, systématique. L’important me semble être de ne pas avoir de liste noire d’invités. Il n’y a ni oukase, ni censure. Toutes les nuances sont audibles dans la matinale de France Inter. Et je m’enorgueillis que les auditeurs ne sachent pas pour qui je vote. Mon travail est de poser des questions contradictoires, ce que je fais.

Avant qu’elle ne déclare qu’elle envisage d’être candidate, Christiane Taubira avait reçu un accueil très chaleureux de Nicolas Demorand et de vous-même, comme François Sureau ou Sylvain Tesson…

François Sureau et Sylvain Tesson sont nos chouchous. Nous aimons entendre leur liberté de parole et leur anticonformisme. Pour Christiane Taubira, nous recevions alors l’écrivaine et retraitée de la politique. Sa candidature envisagée change la donne. On ne la questionnera plus de la même manière.

En septembre, BFMTV a proposé un débat Mélenchon-Zemmour le soir où vous receviez sur France 2 Darmanin et Pécresse. Votre audience en a fait les frais. Y a-t-il trop d’émissions dédiées à la présidentielle ?

Non. Mais cela relève de la responsabilité des chaînes de ne pas se faire concurrence. Par souci démocratique. Les chaînes d’info peuvent organiser un tel débat au pied levé car elles ne sont pas tenues d’annoncer leurs programmes trois semaines à l’avance, contrairement aux généralistes. Il y a là une forme d’injustice sur laquelle le CSA pourrait se pencher.

Quel format va marquer cette campagne selon vous ?

Le duel entre candidats sera le marqueur de cette élection. Ils proposent des visions de la France et des propositions tellement antagonistes et opposées que leurs confrontations sont intéressantes. Les interviews entre un journaliste et un candidat ne peuvent plus être événementialisées tant elles sont courantes.

Comment rester en prise avec les préoccupations des Français quand on est journaliste ?

C’est un vrai challenge. Twitter est surtout le lieu d’expression des militants, des politiques et des journalistes. En revanche, je scrute les enquêtes sur les auditeurs de France Inter et je suis très à l’écoute de leurs interventions à l’antenne.

Quel défaut vous reprochez-vous ?

Étant une femme dans un milieu très masculin, j’ai eu besoin d’en faire un peu trop pour exister et me faire respecter à mes débuts. Mais ça va mieux. Je coupe peut-être encore trop la parole. C’est mon défaut de passionnée.

En 2019 vous vous êtes mis en retrait de l’antenne parce que votre compagnon, Raphaël Glucksmann, s’est présenté sur une liste de gauche aux élections européennes. Prenez-vous votre revanche ?

Je ne le vis pas du tout comme cela. Et je prendrais la même décision si cela se représentait, sans ciller.

De même, Thomas Sotto ne coprésente plus Elysée 2022 en raison de sa relation avec Mayada Boulos, conseillère en communication de Jean Castex…

J’ai compris cette décision mais elle est plus complexe car sa compagne n’est pas élue. J’ai un regret personnel car on se réjouissait de la coanimer en cette année présidentielle après l’avoir portée dans une période où la politique était moins attractive.

Comment expliquez-vous que vous soyez en coanimation dans vos trois activités ?

Vous voulez dire que je devrais me demander comment défendre les femmes puissantes et avoir toujours besoin d’une béquille masculine, c’est ça ? (Rires)

Peut-être ont-ils besoin de vous ?

Le duo renforce. Je trouve que 1 et 1 font 3. Je ne me sens pas du tout frustrée car Nicolas Demorand, Laurent Ruquier ou Laurent Guimier me laissent exister. J’aime monter au filet et ils me laissent le faire, en restant en fond de cours. Cela donne des dynamiques complémentaires. Mais à l’issue de cette saison, je réfléchirai à une émission qui me ressemble à 100 %.

Rares sont les femmes à avoir une telle visibilité médiatique. En tirez-vous une fierté ?

Fierté, non. J’ai réglé mes nombreuses failles, du besoin de reconnaissance à l’envie de succès. Venant du Liban, arrivée à Paris à 5 ans, j’ai eu besoin d’exister plus que d’autres, comme tous les exilés. J’étais affamée et acharnée. Quand je faisais mes études, Le Monde et France Inter me faisaient rêver. Intégrer cette radio il y a sept ans a apaisé mes angoisses et cette volonté folle que j’avais de prouver.

Vous avez questionné des « femmes puissantes » pour votre émission devenue deux livres (1), de Carla Bruni à Anne Hidalgo en passant par Christine Lagarde. Que vous ont-elles appris ?

À dépasser mes peurs et à accepter de déplaire. À être centrée, en me sentant à ma place, ce qui donne non pas du pouvoir mais de la puissance. Si cela s’arrête demain, ce n’est pas grave. Malgré le stress, la fatigue et l’angoisse, j’ai une forme de sérénité et de distance désormais.

Quelle a été votre expérience la plus formatrice ?

Mes débuts à I-Télé il y a dix ans. Je présentais Elysée 2012. J’y ai passé trois ans. J’ai appris à animer un débat dans Ça se dispute avec Éric Zemmour et Nicolas Domenach, à distribuer la parole et même meubler l’antenne.

Est-ce plus difficile d’être journaliste aujourd’hui ?

Oui, mille fois plus. C’est un métier décrié désormais. Et avec les réseaux sociaux et notamment Twitter, comme me l’a confirmé Anne Sinclair, on est très malmené par tous ces messages de haine. Il faut avoir les épaules pour les supporter. Laurent Ruquier m’avait prévenue il y a cinq ans. Il faut s’en préserver.

Et quelle est votre plus belle expérience ?

Ma coanimation avec Nicolas Demorand. C’est un mariage tellement réussi.

Le départ de Laurence Bloch, qui dirige France Inter et vous y a fait venir, pourrait intervenir dès juin 2022 et non en 2023. Est-ce regrettable selon vous ?

Je n’ai pas d’information concernant sa succession ou le calendrier. En revanche, je peux vous dire qu’elle est derrière le succès de France Inter ces dernières années. Elle a pensé la grille, l’a peaufinée, a fait grandir ses talents. Presque chaque personne que vous entendez entre 5h et 23h lui doit quelque chose. Et en premier lieu, Nicolas Demorand et moi. Elle nous a poussés, nous a encouragés à nous dépasser, à prendre des risques, nous a engueulés aussi parfois. Elle est la patronne de média la plus intelligente mais aussi la plus humaine que j’ai connue de ma carrière. Une femme puissante. Son départ en 2022 ou en 2023 sera un tournant important pour la radio, qu’il faudra bien préparer.

À quoi va ressembler votre prochaine saison ?

Je ne sais pas et c’est la première fois de ma vie que je ne fais pas de prévision. Il y a un énorme point d’interrogation. Mais je pressens qu’il y aura du changement. Ce sera une forme de fin de cycle pour moi. Je vais sûrement décélérer.

(1) Femmes Puissantes, deux volumes coédités par Radio France et Les Arènes

 

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