Presse

Les kiosques numériques proposent pour une dizaine d’euros par mois l’accès en digital à plus d’un millier de titres de presse. Les lecteurs y trouvent leur compte. Mais quid des éditeurs ?

L’Équipe et Le Point devaient se retirer des kiosques numériques fin 2021. Mais Cafeyn n’a pas apprécié que le quotidien sportif se dédisse du contrat signé. « Jusque-là, j’ai laissé les tribunaux prendre la mesure de ce différend », confie Ari Assuied, cofondateur et PDG de Cafeyn. En dépit d’une première ordonnance, la cour d’appel de Versailles a ordonné au groupe de presse de poursuivre sa distribution numérique jusqu’en août 2022, date de fin du contrat. L’Équipe n’a pas souhaité commenter cette information. « Quand on regarde la situation financière du groupe qui perd beaucoup d’argent, on espère qu’un dialogue pourra se nouer. Nous sommes un complément de revenus pour les éditeurs. Nous favorisons le pluralisme et la presse en permettant à nos utilisateurs l’accès à 2 200 titres », soutient Ari Assuied.

Rémunération insuffisante.

Dans son bureau avec vue sur la tour Eiffel, Renaud Grand-Clément, PDG du Point l’assure : il n’a eu aucune concertation avec L’Équipe. « Nous voulons rétablir une relation directe avec nos utilisateurs. D’une part, pour qu’ils profitent d’un confort de lecture que nous sommes les seuls à proposer avec une édition numérique enrichie de photos et d’illustrations, un PDF et une offre de jeux. Ensuite, parce qu’il y a une déperdition de valeur à proposer notre journal dans un pack. Enfin, parce que nous voulons une juste rémunération de nos contenus. Celle des kiosques est insuffisante, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. J’ai du respect pour ce qu’ils font mais il est temps de tenter une nouvelle stratégie ».

Pour chaque exemplaire consulté par un lecteur, le kiosque numérique reverse un pourcentage du prix de vente facial à l’éditeur, de l’ordre de 25 %. Cela permet d'inventorier cette consultation dans la diffusion payée. D’ici à fin janvier 2022, seul le kiosque Air France proposera donc Le Point. Le newsmagazine mise sur son potentiel de croissance, avec un portefeuille de 200 000 abonnés dont 40 000 exclusivement numériques et 40 % via l’application. Quant aux 160 000 abonnés à la formule incluant print et numérique, 55 % ont activé leurs droits digitaux.

Ari Assuied ne voit pas dans ces deux décisions de retrait un mouvement de fond. « L’information et la presse sont en retard dans leur monétisation digitale par rapport à la musique ou à la SVOD. Nous sommes un partenaire pour les éditeurs et nous travaillons quasiment avec l’intégralité d’entre eux. Même si certains, en situation délicate, se rattachent à l’idée d’une autodistribution ».

Car le modèle historique fondé sur la vente d'exemplaires papier, qui s’érode années après années, et sur le revenu publicitaire qui en découle, n’est pas transférable sur le monde digital. « Notre plateforme d’agrégation valorise les titres sans concurrencer les éditeurs. Certains d’entre eux pensent que le gâteau va se réduire alors que nous pensons que beaucoup de valeur est à créer. Mais ils peuvent être tiraillés entre besoins à court terme et enjeux à long terme », assure Ari Assuied. Cafeyn propose un modèle intermédiaire à l’offre digitale gratuite, au paywall ou à l’abonnement numérique à un journal. L’abonné type de Cafeyn lit entre 20 et 30 contenus par mois, et 4 ou 5 de la même publication au sein d’un catalogue international. Le kiosque numérique, à l’économie florissante, se développe dans l’audio via le podcast et l’audio narratif et vise les 2-10 ans avec le rachat de l’appli ludo-éducative Kidjo. Il emploie 200 personnes et est présent dans dix pays, depuis le rachat du néerlandais Blendle notamment.

Le rival ePresse, allié d’Orange, qui propose 1 200 titres et compte 500 000 utilisateurs actifs, est également touché par ce mouvement de consolidation. Le géant suédois Readly, fort de 5000 titres, vient de le racheter. L'appli bénéficiera de ses 40 milliards de données, de sa technologie et de sa puissance marketing. « Le marché francophone de la distribution de la presse représente potentiellement 2 milliards d’euros avec le gisement de croissance des 300 millions de francophones dans le monde. Et le numérique représente 15 % du marché de la presse en France actuellement, souligne Jean Frédéric Lambert, CEO d'ePresse. Mais les multi-abonnés au streaming favorisent d’abord la vidéo et la musique. Lorsqu’un choix s’impose, la presse est sacrifiée. » Les éditeurs ont-ils intérêt à investir en tech et en développement pour suivre l’exemple du Monde et ses 414 000 abonnés numériques ? Ou doivent-ils se contenter de revenus complémentaires via un kiosque. Le Parisien-Aujourd’hui en France réfléchit lui aussi à se réapproprier ses lecteurs… 2022 sera l’année des tests grandeur nature.

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