Le billet vert de Gildas Bonnel

[Chronique] Internet est aujourd'hui rempli de vidéos qui nous abrutissent et qu'un certain nombre d'internautes prennent plaisir à regarder. A nous, communicants, d'inciter nos clients à s'en détourner.

On m’a dit un truc de fou ! J’ai découvert un truc de malades : sur internet, des millions de gens, que dis-je, peut-être des dizaines de millions d’individus doués de raison, regardent des vidéos d’énormes boutons d’acné qu’on éclate en gros plan pour le plaisir des yeux. Je sais, il y a plein de trucs débiles depuis longtemps pour offrir une petite récréation à la part d’ombre de notre humanité. La liste n’est pas exhaustive et nous connaissons les chiffres invraisemblables de vues de contenus que n’importe qui, à froid, sait parfaitement débiles et inutiles.TikTok, Instagram, YouTube se repaissent de la fascination du public pour ces vidéos venues de nulle part. 

Mais si, entre gens intelligents, citoyens conscients, nous savons la perversité de ces contenus, leur puissance d’abêtissement, la fuite de temps et de moyens que notre humanité pourrait consacrer au progrès, à l’éducation, pourquoi ? Pourquoi finançons-nous avec nos marques cette distorsion du génie humain, ce miroir aux alouettes ? 

Il y a près de vingt ans, TF1 se collait un chewing-gum sous la semelle avec la sortie formulée par Patrick Le Lay, alors président-directeur général : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. » S’il avait su, le pauvre homme, que le premier concurrent des médias, aujourd’hui, serait précisément l’industrie de ce modèle à très grande échelle. Mais en beaucoup plus malin ! Sans rédaction, sans enquêtes ni reportages, sans fictions ni divertissements à produire, sans respect de la réglementation française, sans même payer l’impôt en France ... Juste du temps de cerveau disponible. 

Regarder ailleurs, même n’importe quoi

On s’est habitué à la pornographie la plus crade à portée de clic qui a dénaturé notre rapport à la sexualité et perverti l’éducation sexuelle de nos enfants. Il paraît qu’un nouveau comité Théodule plancherait, en ce moment, sur les moyens de sécuriser son accès. Je ris jaune. Nous sommes en train de laisser se développer, de la même manière, une hydre à sept têtes, qui, à portée de clics, offre le loisir (?) de s’oublier dans un marigot d’images hypnotiques pour oublier un peu, de plus en plus, énormément, la réalité du monde et le sens de la vie. Je vous passe l’impact environnemental, vous allez penser que je suis obsédé, mais quand le secteur de la communication planche sur la mesure et la trajectoire de diminution de ses impacts carbone, on ne les voit pas ... Les Gafam ont piscine, semble-t-il.

Gladiateurs du ridicule, les gens qui produisent, postent, suivent et relaient ces images n’en meurent pas. Mais ils paieront en différé, puisque la vie terrestre en souffre. Le film Don't look up avait très bien mis en scène cette prodigieuse tendance humaine à regarder ailleurs. Regarder ailleurs, même n’importe quoi. Regarder n'importe quoi, plutôt que ce qui faudrait voir. N’importe quoi utile à détourner le regard. C’est sa fonction même de nous détourner des réalités, de nous en distraire. Distraction, divertissement : nous y sommes. Du pain et du cirque, disaient les romains. C’est précisément parce que visionner des geysers d'acné est inepte, absurde, que cela a du succès. C’est pour son absurdité, son inutilité que cette activité plaît. La certitude d'avoir de l'absurde, du bon absurde bien familier, au doigt et au clic, met un cataplasme illusoire sur la douleur de ne plus saisir le monde qui nous entoure, la vie qui va ...

Peut-on faire plus débile ? Le concours est lancé depuis longtemps, mais là il s'est durcit ! Si vous avez une idée, lancez-la vite sur Insta, vous cartonnerez. Et nous, communicants, là-dedans ? Nous, qui co-finançons ces supports et tentons de capter des cerveaux disponibles, comment les intéresser à la fascinante transformation du monde ? Et si notre pouvoir de prescription, de planification média mettait le nez là-dedans ? Et si nous en parlions davantage à nos clients ?

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