Chronique

[Chronique] À quelle entreprise être loyal : la nôtre (notre boîte) ou la nôtre (l’entreprise humaine, avec nos enfants à bord) ? Au système qui nous nourrit (dont on a accepté les avantages, donc les règles), ou bien à sa propre conscience (y compris professionnelle) ? Sommes-nous des passe-plats ou des conseils ?

Incroyable, cette tribune parue dans le Monde le 26 janvier dernier. Un collectif de scientifiques (1500 chercheurs spécialistes des questions climatiques – tout de même !) a réagi vivement pour défendre deux chercheurs ayant manifesté lors d’un colloque (en affichant quelques secondes une banderole appelant les scientifiques à l’action civique, « sortez de vos labos et allez dans la rue ») et qui ont été sévèrement sanctionnés par leur institution. 

Ici se joue un vrai conflit de loyauté. Détourner un événement de l'intérieur, dénoncer un système dont on fait partie, est-ce acceptable ? Loyauté envers le système qui nous nourrit (dont on a accepté les avantages, donc les règles), ou bien loyauté envers sa propre conscience (y compris professionnelle) ? Choix du compromis ou refus de la compromission ? Fidélité ou radicalité ?  La situation résonne avec les appels successifs des jeunes diplômés, nos futures élites de Polytechnique, d’AgroParisTech, d’HEC... Dans leurs appels aussi, un même message de désertion, de « sortir du labo pour aller dans la rue ». 

Entre deux feux

Nous autres, communicants, voyons tout de suite les dégâts sur l’image de l’institution, de l’organisation « trahie », le couac criant dans des communications souvent lisses et bien cadenassées.  Mais nous sommes aussi des citoyens, sous notre casquette de communicants ou de publicitaires, et nous pouvons légitimement nous poser la question : « et si ça arrivait dans notre organisation, que ferions-nous ? Qui lâcherions-nous : notre collègue désobéissant ou bien notre propre obéissance inconditionnelle ? » 

Récemment, L’ORSE (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises) a ouvert ce débat sur la radicalité dans les directions RSE. Hélène Valade, sa présidente, rappelait cette poussée sociétale, décrivait des « responsables de la RSE entre inquiétude légitime et complexité́ des changements et des réformes à opérer ». Entre deux feux, donc. D’un côté la pression des parties prenantes de plus en plus excédées par la lenteur de la réforme des modèles et les conservatismes de tous poils, effrayés par les changements à opérer, s’accrochant aux habitudes et prompts à fustiger ces écolos-bobos criards forcément déconnectés des réalités de l’entreprise. 

La radicalité monte donc chez nos clients aussi. Nous voilà bien ! Pire : elle monte aussi dans les équipes de communication. Dans nos rangs, en fait. Via nos jeunes recrues. On aimerait tellement oublier ces cailloux dans nos chaussures … Le jour où nous pourrons nous passer de la jeune génération, nous serons débarrassés de ces nouvelles attentes, ces nouvelles questions, cette nouvelle radicalité. Avouons-le, ce n’est pas tous les jours facile ! Mais en attendant, on peut aussi s’en réjouir : ces « jamais contents », qui nous semblent des insatisfaits chroniques, coupeurs de cheveux en quatre, sont le plus souvent sensibles, impertinents et courageux. Ils ont des convictions, des peurs aussi, beaucoup. Ils ont envie de peser, d’interroger, de réinventer. Et on a bien souvent raison de les écouter. 

Conflit de loyauté. Nous sommes donc bien dedans, nous aussi. À quelle entreprise être loyal : la nôtre (notre boîte) ou la nôtre (l’entreprise humaine, avec nos enfants à bord) ? Une voie étroite permet de résoudre ce conflit de loyauté. Elle consiste à choisir quel besoin de l’entreprise, de l’annonceur nous servons. Sommes-nous là pour dire ce que l’on sait déjà, pour flatter, exécuter ? Ou bien pour voir plus loin, interroger le brief, désobéir aux attendus ? Sommes-nous des passe-plats ou des conseils ? Sommes-nous des interlocuteurs intelligents, critiques, engagés ou de bons petits soldats capables de nous asseoir sur les sursauts de notre conscience, de nos convictions ? Et faire grandir une marque, une entreprise, en la contestant, en la remettant en cause, est-ce la trahir ? Sincèrement, c’est une sacrée question non ? Radicalement vôtre. 

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