Chronique

L’amour dure trois ans a écrit Frédéric Beigbeder, auteur volage. Mais quelle est la longévité de cet autre contrat à durée «indéterminée», celui qui vous lie à votre employeur ? Cela fait des mois désormais qu’on débat du «Great Resignation», cette tendance de fond qui voit les ressources humaines au sein des entreprises fondre encore plus vite que la banquise en Arctique. Péril ou délivrance, il est temps de prendre acte de ce bouleversement du monde du travail : rendez-vous compte qu’après deux années de crise sanitaire, nous allons bientôt connaître le départ des premiers collègues que nous n’aurons connus que par écran interposé ou derrière des masques ! 

Indépendants, freelances, slashers… une collègue me faisait remarquer qu’il était de moins en moins évident de répondre à la question « tu fais quoi dans la vie », en un métier ou une phrase en tout cas. Je me sens proche de cette génération de professionnels qui cumule sans être cumularde et a su retourner la précarité à son avantage. Parce qu’avant de parler de pénurie de main-d’œuvre, on s’inquiétait surtout du chômage. L’auto-entrepreneuriat était souvent une solution pour ne pas désespérer des candidatures auxquelles les entreprises ne prenaient même pas la peine de répondre. 

Toujours à l’avant-garde, les start-up avaient déjà recours à des freelances designers, développeurs… qui goûtaient l’indépendance sans avoir décidé de renoncer à rejoindre une entreprise si l’occasion et le bon projet se présentaient. Puis vinrent les confinements. Nous avons tous expérimenté un rapport radicalement différent au travail. L’unité de lieu, de temps et d’action a explosé. Toutes les entreprises ont dû réécrire leur charte de télétravail, nombre de salariés ont décidé de quitter des logements proches de bureaux où ils ne se rendraient désormais que deux ou trois jours par semaine seulement.

Certaines entreprises ont alors pensé que le télétravail et le déménagement de leurs salariés seraient l’occasion de faire des économies, de réduire les espaces de bureaux et peut-être même les salaires puisqu’à distance le coût de la vie serait moindre… Tout au contraire, les salaires ont augmenté face à la pénurie de talents, en anticipant ou en accompagnant l’inflation. Et puis, franchement, quand on voit les résultats records du CAC40 et les levées par dizaines ou centaines de millions de la French Tech, ces hausses étaient opportunes. 

Envie de bouger

La psychologie a joué aussi. Certains ont eu la chance de pouvoir épargner en abandonnant des dépenses et en découvrant un sentiment d’aisance nouveau, une combinaison qui invite à la prise de risque et au changement. Enfin, les départs ont appelé les départs, il devient « cool » de bouger quand les autres bougent, moins angoissant de quitter un bureau auquel on ne va plus et des collègues à distance. 

Tout le monde a gagné dans ce monde du travail d’après qui bénéficie à la fois aux employés et aux employeurs. Toutefois, nous ne devons pas ignorer les zones d’ombre et les risques. Les inégalités au premier chef.  Nous sommes encore moins égaux face au télétravail que face au travail. Les fameux métiers de première ligne applaudis lors du premier confinement ont été moins augmentés que les professions en pénurie qui ont le loisir de travailler depuis les Canaries. Aussi préoccupants, les risques psycho-sociaux sont bien moins faciles à identifier et traiter, même si je pense que nous apprendrons avec le recul… Côté employeurs, toutes les entreprises n’auront pas les moyens des augmentations que proposent les grands gagnants de la crise. Dernière inquiétude, où s’arrêtera la distance et ainsi, quelle pression sera exercée sur les salaires – à la baisse cette fois – à un moment où les relations sociales seront distendues ? Avec le remote, quel est le risque de voir une délocalisation des activités tertiaires comme on a connu la disparition des usines et de leurs travailleurs avec le fabless ? 

Revenons aux bonnes nouvelles et aux bonnes résolutions – nous ne sommes qu’en février après tout. Réjouissons-nous du mouvement. Un départ est l’occasion de se dire merci, de se souhaiter le meilleur pour la suite et le départ des uns est l’arrivée des autres, et vice et versa. Et puis, il nous reste à inventer le contrat de travail de demain, qui assumera peut-être la durée déterminée pour créer un nouvel équilibre et partager des perspectives qui sauront converger et diverger, de manière prévisible, pour créer encore plus de valeur et de bien-être. Parce que si l’amour dure trois ans, autant enchaîner les contrats. 

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