Chronique

L'IA a défié les humains dans tous les domaines. Deviendrons-nous ses supplétifs ? Champion du monde d'échecs ou livreur, quelle alliance allons-nous former, quelle symbiose allons-nous développer avec les machines ?

11 mai 1997, la France n’était toujours pas championne du monde de football mais un match encore plus décisif marquait l’Histoire, il annonçait un bouleversement pour notre civilisation. Je m’en souviens, la nouvelle était partout. Le champion d’échecs Garry Kasparov, le meilleur humain de la discipline, perdait la sixième partie d’un match historique contre Deep Blue, le supercalculateur d’1,4 tonne conçu par IBM sur lequel tournait un logiciel dont la capacité de calcul atteignait 200 millions de coups potentiels par seconde. 

Depuis, la machine a défié les humains dans toutes les disciplines. Deviendrons-nous ses supplétifs ? Saviez-vous par exemple que le métier le plus en tension de tous, celui pour lequel on trouve le moins de candidats désormais, c’est chauffeur routier ? Pourquoi ? Parce que le routier chérit sa liberté, sa vocation est sur la route, il y vit un sacerdoce solitaire ponctué par la fraternité des bivouacs. Cette profession s’est informatisée au point que le trajet et ses moindres pauses sont dictés par la machine. En attendant les véhicules totalement autonomes, le conducteur ne supervise pas les ordinateurs, il les assiste. 

Alors, champion du monde d’échecs ou livreur, quelle alliance allons-nous former, quelle symbiose allons-nous développer, inéluctablement, avec les machines ? C’est la question qui me passionne le plus ces derniers mois. Et c’est dans le domaine artistique que je la trouve la plus fascinante. Comment créer avec des machines ? Comment défier la machine pour qu’elle produise des œuvres qui dépasseraient celles de Picasso et de Proust comme elle a battu Kasparov ? Ou, plutôt, la domestiquer pour créer mieux avec elle, comme avec un nouveau burin, un stylo ou une palette d’un type radicalement nouveau ? Que ferait Léonard de Vinci de la puissance de DeepMind, la start-up de Google derrière AlphaGo et de GPT-3, une intelligence artificielle développée par OpenAI capable de penser et d'apprendre comme les humains ou Shakespeare du logiciel d’assistance à l'écriture de Jasper ?

Ces trois technologies commencent à avoir un impact sur le domaine de l'art et du design. Par exemple, GPT-3 est utilisé pour générer des images 3D réalistes de personnes et d'objets. Les algorithmes de DeepMind sont utilisés pour créer des simulations réalistes au rendu époustouflant. Et Jasper est largement utilisé pour la description de produits ou le référencement naturel des sites e-commerce. 

Avec le livre Et si on vendait la Joconde ? publié chez JC Lattès en début d’année, je commençais à explorer cette nouvelle frontière et rêver d’une nouvelle renaissance, en Europe, initiée par nos industries créatives. Et comme toutes les pratiques créatives, on peut tout à fait les exercer en débutant… Alors je me suis inscrit, j’ai regardé des tutoriels, j’ai tenté, effacé, recommencé. J’y crois tellement. Cet article est illustré par ma première œuvre générée par une intelligence artificielle, celle de Google, son service Colab qui permet à qui le souhaite – et gratuitement – d’exécuter des commandes Python depuis son navigateur avec sa Diffusion Disco v4.1. Tellement simple, croyez-moi. Cette image répond au doux nom qui est le script fourni à l’intelligence artificielle qui l’a créée : ["A man looking like Elon Musk reading Stratégies magazine while sitting in a spacecraft flying to Mars.", "blue color scheme"] 

Mais laissez-moi conclure sur un vœu et un aveu. Au moment où Thierry Ardisson annonce une grande innovation à la télé avec des morts – Dalida et Jean Gabin – ressuscités par l’intelligence artificielle pour leur faire dire des paroles qu’ils ont déjà prononcées, la semaine où Kim Kardashian épouvante les conservateurs de musée du monde entier en empruntant à Marylin Monroe sa robe la plus célèbre pour monter les marches du gala Met, j’espère que ces technologies vont être surtout la possibilité d’inventer plus que de copier ou de rabâcher. Je suis convaincu que la création doit nous surprendre d’autant plus dans un monde incertain. La confidence enfin, dans cette chronique, cinq lignes (presque 10% du total) ont été écrites par une intelligence artificielle, saurez-vous les reconnaître ?

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