Le billet vert de Gildas Bonnel

[Chronique] Le terme de sobriété s'est imposé ces quelques temps dans le débat public. Mais pour qu'il ne rime pas avec rationnement, à nous, collectivement, de mesurer l’impact environnemental de nos modes de vie pour pouvoir défendre notre liberté de choix.

Vous l'avez lu, entendu ce joli mot se promener dans le débat public ? Comme beaucoup d'autres, il a longtemps été marginal avant de devenir politiquement correct. Pierre Rabhi (avec sa sobriété heureuse) l'avait réinventé et le terme s’était utilement installé dans le vocabulaire écolo. La sobriété devenait, avec lui, la face positive, enviée, de la déconsommation. Une promesse de santé, de légèreté, de conscience du monde et de satiété. Il vient pourtant de loin, ce mot, tout imbibé (pardon !) de son sens le plus commun : celui du sevrage alcoolique. Alors quand nos gouvernants se l’approprient en nous appelant à la sobriété, énergétique au premier titre, mais, en fait, dans tous les compartiments de notre vie, il se teinte, à nouveau, de rigueur, de privation, de serrage de ceinture. C’est marrant les mots, ça change de couleur. 

Et pour nous, les communicants, ça dessine quoi ? Dans les effets de nos métiers colorés, chamarrés, scintillants de superlatifs et de promesses, on peut dire, sans exagérer, que la sobriété n'est pas la tonalité la plus usitée. Peut-on imaginer la campagne BMW sur la joie, imprégnée de sobriété ? Est-ce que ça ne parlait pas un peu d'ivresse quand-même, du sentiment grisant de maîtrise de la route, de la vitesse, du défilement des paysages magiques dans le feutré de l'habitacle ? Pouvons-nous l’imaginer aujourd’hui sans l'ivresse sous-jacente ? Bien sûr, le cas d’école Patagonia est présenté partout comme LA référence disruptive. Sa publicité « Dont buy this jacket » est l’arbre qui cache la forêt. La Convention citoyenne pour le climat avait dans ses propositions le projet d’une mention obligatoire sur toutes les publicités « en avez-vous vraiment besoin ? ». Certains ont ri tellement l’idée leur paraissait ubuesque, d’autres pas du tout. 

Un autre mot s'est invité dans le débat sur la crise énergétique et climatique. Plus dur, celui-là. Un gros-mot presque : rationnement. Sorte de rappel de la Seconde Guerre mondiale, des semelles en bois, des topinambours et des tickets de... rationnement.  Ce mot là, c’est du lourd. Car le rationnement est une sobriété forcée. La différence est non négligeable. Au bout du capitalisme libéral, on déboucherait donc sur... de la privation de liberté. Cherchez l'erreur. Et nous, communicants, avons sans aucun doute participé à cette fausse route : qu'avons-nous vendu sinon de la liberté ? Liberté de consommer, de choisir ses divertissements, son alimentation, ses destinations ... la liste est infinie. « La fin de l’abondance n’est pas le début de l’austérité », la phrase d’Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour dans Stratégies est bien trouvée (parfaite figure de style de l’antithèse !). Si elle pointe l’essentiel (la finitude des ressources), elle écarte l’idée de manque et balaye le risque de désenchantement de la consommation. La position tiendra-t-elle longtemps ? 

Défendre la liberté de choix

Alors pour éviter le rationnement à la trique, l’austérité, la frustration du consommateur et la colère du citoyen, comment pouvons-nous réussir à faire société sobrement ? Après avoir valorisé la joie de posséder une grosse cylindrée, saurons-nous magnifier la joie de s’en passer ? Comment écrire de nouvelles promesses dans une consommation consciente, raisonnée ? Comment parler de la préciosité des ressources, d’un produit qu’il nous faut apprendre à regarder comme un objet de valeur pour ce qu’il représente comme matières, énergies et intelligences réunies ? 

Notre travail collectif à mesurer l’impact environnemental de nos modes de vie, de nos modes de consommation doit nous permettre de défendre cette liberté de choix. La sobriété heureuse c’est de savoir que nous sommes libres et capables de choisir en conscience notre part d’effort et notre trajectoire de progrès. Et c’est comme dans tout, quand on progresse, on est super heureux !

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