Chronique

Bonne année. La neuvième d’affilée que je débute ici avec vous. C’est dire si nous en avons vécu et commenté, ensemble, des petits et des grands événements qui font l’actualité des technologies, de leur économie, et plus largement de notre civilisation connectée à Internet. 

Comme un symbole, le film qui a marqué la fin 2021 et le début 2022 est une création Netflix. Une bonne comédie, qui ne prétend ni au statut de chef d’œuvre ni à celui de brûlot mais qui, à l’ère des réseaux sociaux, déchaîne les passions et les avis contraires comme si c’était le cas. Ce que j’ai retenu de Don’t look up : déni cosmique, c’est précisément la coexistence du verre qui déborde et du verre cassé. On est loin des nuances de remplissage avec ce sentiment très très étrange que tout va très bien et très mal en même temps. Plus que l'apocalypse, dans cette fiction, une ressemblance avec des faits ou des personnages réels semble ne rien avoir d’une coïncidence : l’euphorie économique en pleine crise sanitaire qui nous fait « disjoncter ».  Après l’analogique, l’état relatif, ni totalement plein ni totalement vide, le numérique, vide ou plein, voici l’époque quantique du verre vide et plein en même temps. 

Plein. Le CAC et la capitalisation boursière d’Apple au plus haut, de nouvelles licornes toutes les semaines et parfois deux par jour. Ankorstore, la toute dernière des 26 entreprises valorisées plus d’un milliard parmi les start-up de la French Tech a été créée il y a seulement deux ans… qui l’aurait cru ? Et puis d’encore meilleures raisons de croire au progrès : la percée des véhicules électriques et des vélos, le financement de la recherche sur la fusion nucléaire promesse d’une énergie infinie propre et sûre, la conquête spatiale… sans parler de la biologie, des exogreffes, de tous ces vaccins mis au point en un an à peine et distribués dans le même délai à des milliards de personnes… Bref, quelles avancées stupéfiantes, quelle chance de pouvoir y assister. 

Vide. Malgré tout cela, nos années 20 ne sont pas celles qu’on nous promettait il y a seulement deux ans, les “roaring twenties”, par analogie avec celles d’avant le krach de 1929 et de la guerre, celles de la croissance ET de l’insouciance. Nous avons la croissance exponentielle mais la conscience lourde et pour ne rien arranger, les mouvements contraints. 

La mère de toutes les industries.

 Quelle est la clé pour prendre le bon chemin en 2022 et après ? Si un film nous fait réfléchir et débattre, il nous montre aussi la puissance de la culture et donc la nécessité et l'urgence d'en soutenir toutes ses formes. D’abord parce qu’elle est la mère de toutes les industries. Avant Don’t Look Up, Netflix nous avait rappelé le soft power coréen avec la série Squid Game. C'est ce génie géostratégique qui, avant les microprocesseurs Samsung et les voitures Hyundai, a permis à la Corée du Sud, groupe BTS et réalisateur Bong Joon-ho en étendards, d’être le seul pays à connaître un excédent commercial avec la Chine. 

Avons-nous les moyens d’investir les montants hallucinants des Magma (les Gafa à l’ère de Facebook devenu Meta et de Microsoft qui court derrière Apple et ses 3 000 milliards) ou des entreprises d’État chinoises ? Bien sûr que non et a fortiori pas sur tous les fronts. Et si des batailles du cloud, des microprocesseurs, de l’espace, du climat, des biotechnologies… celle des industries culturelles et créatives, moins coûteuse, était primordiale pour les gagner toutes et ainsi renverser la vapeur, nourrir les autres secteurs industriels, intégrer les grands défis sociaux et environnementaux et réconcilier croissance et conscience ? 

J’y crois tellement que j’en ai fait la thèse d’un livre qui sort cette semaine chez JC Lattès et dont le titre et le point de départ viennent d’une question loufoque provoquée par le premier confinement : “Et si on vendait La Joconde ?”. Cette question sacrilège s’appuie sur le débat brûlant de la cancel culture et de la restitution des œuvres mal acquises. Sa réponse est peut-être déjà esquissée par des modèles inspirants, en Corée du Sud donc et aussi sans doute ailleurs, mais nous devrons trouver ce qui constitue notre patrimoine commun à l’ère numérique et y associer un plan de relance digne de ce nom par et pour la création et la culture. Ça tombe bien, 2022 est aussi une année de programmes électoraux. On peut espérer que Netflix ne sera pas seul à nous proposer des scénarios d’avenir ! 

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