Tribune

Pour réinventer nos sociétés, nos entreprises ou même la communication, l’intelligence collective ne doit pas être abandonnée à l’intelligence artificielle, trop réductrice et source de manipulation.

Remise en cause de nos institutions, des modes de management, défiance vis-à-vis des élites, révoltes multiples des laissés pour compte de l’économie, prise de conscience du retard pris sur les enjeux sociaux et écologiques, complexité et vulnérabilité de nos sociétés… Tout concourt pour trouver de nouvelles manières de réinventer nos sociétés, nos entreprises… et la communication.

La mise en œuvre de l’intelligence collective est une approche novatrice utilisée pour les projets des acteurs publics, mais aussi par les entreprises pour questionner leur raison d’être et leurs valeurs. Décloisonnement, partage, écoute, créativité et respect des opinions au sein d’ateliers permettent de trouver une meilleure compréhension, de nouvelles solutions, de meilleures décisions, mieux acceptées, mieux expliquées.

Parallèlement, nous assistons, avec plus ou moins d’abus de langage, à l’invasion de l’intelligence artificielle (IA) et des algorithmes dans tous les secteurs, avec une forte tendance à montrer leurs suggestions comme nos choix attendus. Il est tentant d’associer les deux pour substituer à nos modes imparfaits de décision et d’action le superpouvoir d’un système qui serait à la fois à l’écoute de chacun, permettrait des conclusions rapides et incontestables, avec un grand nombre d’expressions individuelles, et qui réconcilierait citoyens, consommateurs et élites, tout en relégitimant la décision.

Ce tour de passe-passe est une impasse. La massification que permettent les algorithmes s’accompagne d’une simplification et donc d’une perte de nuance dans l’expression, d’où un risque dans l’analyse et la prise de décision. Il écrase la créativité et l’apparition d’avis disruptifs, ou de signaux faibles, que l’on peut justement attendre de l’intelligence collective. Il s’accompagne de biais et de fausses corrélations d’autant plus importants que les volumes sont conséquents.

Il renforce inévitablement le sentiment de boîte noire et de manipulation, il favorise les choix faciles et immédiats alors que le rôle des décideurs est aussi d’anticiper, d’investir, quitte à faire des choix difficiles et/ou impopulaires. Enfin, il remet en cause la légitimité et la stabilité même de notre système démocratique basé sur l’élection, qui permet aux élus d’agir sur la durée, en prenant des décisions pendant leur mandat et d’en assumer la responsabilité au scrutin suivant.

Au contact des décideurs

L’échec réitéré des sondeurs alors que ce sont les plus anciens spécialistes de l’analyse des données, la manipulation avérée des algorithmes des réseaux sociaux pour leur seul profit et la mise sous dépendance de leurs utilisateurs, montrent que la démocratie du clic n’est pas à portée de main. Elle n’est même pas souhaitable car les réseaux sociaux sont l’antithèse de l’intelligence collective. Pas de modération, peu d’esprit constructif, libération des pulsions les plus négatives permises par l’anonymat, bref, toutes les dérives des foules.

Si l’intelligence collective apporte un renouveau pour retremper nos vieux systèmes hiérarchiques et centralisés dans un bain de participation et de légitimité, nous avons besoin qu’elle reste au contact des décideurs pour qu’ils éprouvent la réalité du terrain de manière émotionnelle. Ils commettront certes des erreurs mais ce sera leur responsabilité, pas celle de Big Brother et de ceux qui sont cachés derrière lui. Cela n’interdit pas d’utiliser le digital pour accélérer le traitement de données au service de la décision, mais bien de confier toute décision au digital.

Les communicants jouent un rôle dans ce combat et ne doivent pas se laisser séduire autrement que nécessaire par les algorithmes pour garder l’intelligence humaine, la sensibilité et la créativité au cœur de la communication entre décideurs et audiences.

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