Chronique

Entre le désormais célèbre « emmerder » (désolé pour l’Académie française et pour tous les profs de français) et le retour du « Karcher » (désolé pour le directeur de la marque), quatre jours se seront écoulés pendant lesquels rien d’autre n’a été audible. Sans sous-estimer la part de stratégie politique derrière le choix des mots, sans juger au fond, on peut se demander si cette séquence sera à l’image de ce qui reste de la campagne présidentielle. Ce grand moment du débat démocratique ne mérite-t-il pas mieux ? Quatre jours de perdus pour parler d’éducation. D’environnement. Du système de santé. Du modèle social. Du logement. De la dépendance.

Bien sûr, il y a la nécessité pour la communication des candidats « d’émerger », de capter l’attention. C’est d'autant plus décisif qu’au match de l’UBM, Omicron l’emporte pour l’instant sur l’élection. Certes, les petites phrases de campagne ne datent pas de 2022. La montée en puissance des chaînes d’info, la catalyse des réseaux sociaux avaient déjà amplifié la quête de buzz en 2012 et en 2017. Et finalement, « vous n’avez pas le monopole du cœur », c’était aussi (en 1974), même avec la tonalité giscardienne, une punchline. Les petites phrases ont toujours fait la politique. Mais les punchlines ne vont-elles pas la tuer ? En tout cas, la place qu’elles occupent en ce début de campagne constitue un vrai risque pour la fonction présidentielle.

Pour s’en convaincre, rappelons un paradoxe : Alors que la participation aux législatives, municipales, régionales ne cesse de reculer, la présidentielle a jusqu’à présent globalement échappé à ce phénomène. En 2017, 79% des Français se sont déplacés au premier tour. Six semaines après, pour choisir leurs députés, ils n’étaient qu’un sur deux. Pourquoi cette différence ? Parce que même quand ils rejettent la politique, les Français considèrent que la seule élection déterminante, c’est la présidentielle. Pour 77%, voter à la présidentielle, c’est utile pour changer les choses, pour 54 %, l’hôte de l’Élysée peut faire évoluer le monde dans lequel on vit.

« Appelez-moi le directeur »

Face au syndrome bien connu « appelez-moi le directeur », une fois tous les cinq ans, le citoyen se dit qu’il peut le choisir ou le révoquer. Cette foi dans la centralité de l’élection présidentielle se base sur la conviction de l’omnipuissance de la fonction : industrie, agriculture, santé, grands projets, impôts, on prête au président le pouvoir de décider de tout. Mais à la centralité de l’élection correspond aussi une centralité de la campagne. Pendant plusieurs mois, elle s’impose habituellement face à toutes les autres actualités. Ce n’est pour l’instant pas le cas. À cause du virus bien sûr mais aussi par le mauvais départ qu’elle semble avoir pris. Pourtant, une mauvaise campagne pourrait entraîner de lourdes conséquences sur notre vie démocratique. Pour plusieurs raisons.

D’abord parce que cela peut entraîner cette fois une abstention plus forte, notamment chez les jeunes qui regardent de loin ces joutes politiques. Ensuite parce que pour accorder ma confiance, plus que jamais, alors que les promesses ont fait tant de mal, je veux savoir avant ce que l’élu fera. Pas de mauvaise surprise. Pas de petites lignes en bas du contrat, pas de mensonge par omission. Si le début de campagne 2022 est si décevant, c’est qu’il ne permet pas ce « grand débat ». Il y a pourtant dans l’acte de vote l’idée que se signe un contrat, un pacte présidentiel entre le candidat et le futur élu. Comment adhérer à un des pactes proposés, si pendant les semaines de campagne, on ne se focalise pas sur les questions de fond ?

Pour gouverner, face à l’hyper exigence des citoyens, le président a besoin de pouvoir fonder son action sur des choix ratifiés par le scrutin. Une campagne sans débats clairs, c’est le risque pour l’élu quel qu’il soit de se retrouver entravé dès les premiers mois. Une campagne sans choix tranchés, c’est un mandat d’immobilisme assuré. Si on ne parle de rien, on ne décidera rien.

Enfin, une campagne présidentielle, c’est l’occasion de confronter des visions de la société. De parler de l’avenir du pays. Du chemin que le président entend construire. Et même si un slogan peut résumer ce « grand dessein » et lui donner de la force, il ne peut jamais se substituer au développement cohérent, profond, argumenté de cette vision.

Il reste quelques semaines à tous les acteurs de cette campagne pour corriger le tir. Aux citoyens d’exiger le débat. Aux médias, aux sondages de l’éclairer sans le caricaturer. Mais c’est d’abord aux candidats qu’il revient la responsabilité de mener une campagne à la hauteur de l’attention que tous les cinq ans, malgré toutes les déceptions, l’électeur veut encore accorder à l’élection présidentielle.

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