Chronique

Dans la torpeur de l’été, un article intéressant publié dans L’Opinion vous a peut-être échappé. Ludovic Vigogne y analysait sous le titre « Politique : les excuses se ramassent à la pelle » ce qui apparait aujourd’hui comme un phénomène nouveau, l’expression par des décideurs publics de regrets et de contrition. Du célèbre « I screwed up » (J’ai foiré) de Barack Obama, aux mea culpa répétés d’Emmanuel Macron depuis la crise des Gilets jaunes, (« Le sentiment que j’ai donné, c’était une forme d’injonction permanente, d’être dur, parfois injuste »), les responsables politiques, davantage d’ailleurs que les dirigeants d’entreprise, n’hésitent plus à mettre un genou à terre pour mieux plaider l’indulgence. 

Deux évolutions expliquent à mon avis cette tendance : d’abord, pendant longtemps, le mythe de l’infaillibilité du chef rendait le principe même de l’excuse inaudible dans les cercles de direction économiques ou politiques. Le chef, c’était celui qui décidait, dirigeait, incarnait l’autorité. Fort heureusement, les valeurs reconnues au chef ont changé dans la société. Le leader contemporain est un chef d’équipe, il doit écouter et entrainer, impulser et fédérer, il doit aussi être « proche » et empathique. Et dans cette proximité vient se glisser aussi une part d’humanité. Comme chacun, le chef a le droit de se tromper. Ouf !

Ensuite, et c’est plus marqué en France qu’aux États-Unis par exemple, reconnaitre l’échec, c’est aussi s’approprier la culture du rebond. L’échec vous disqualifie-t-il ou vous rend -il plus fort ? Il est admis aujourd’hui que la valeur de l’expérience se construit aussi par la capacité de rebondir après un mauvais choix stratégique ou managerial, à condition bien sûr d’en avoir tiré objectivement les leçons.

Mais les regrets, aussi indispensables soient-ils, ne suffisent pas. La question posée aux dirigeants, aux entreprises, aux institutions est celle de la sincérité de ces excuses. Depuis plusieurs mois, nous mesurons dans nos études que ce critère devient extrêmement discriminant dans le rapport à la parole publique, comme si le citoyen écoutant l’interview d’un ministre ou d’un chef d’entreprise le classait très vite, dès les premières réponses, entre « sincère » et « pas sincère ».

La sincérité ne se décrète pas, elle se prouve

Si la forme de l’expression peut bien sur venir donner crédit à cet item, si les éléments de langage artificiels comme les fausses émotions sont à proscrire, la sincérité ne se décrète pas, elle se prouve.

Evidemment, elle se mesure au capital d’image dont bénéficie l’entreprise ou le décideur public. Le crédit de confiance – ou son déficit – accumulé dans le passé est un premier filtre qui oriente le jugement du citoyen ou du consommateur.

La question du moment est également importante. Reconnaître ses erreurs des années après, quand on n’exerce plus ses fonctions a évidemment moins de portée et moins de crédit qu’assumer quelques mois après une indispensable correction de trajectoire.

Mais c’est surtout au regard des engagements pris que la posture de l’excuse peut être audible. Qu’avez-vous fait pour que ce qui vous est reproché ne se reproduise plus ? Qu’avez-vous changé pour que votre discours soit suivi d’effets, pour que la parole cède la place aux actes ? L'enjeu n’est donc plus simplement de concéder mais bien de corriger.

Dans ce cadre se pose évidemment la question de l’évaluation. Qui est le mieux à même de dire si vous avez vraiment changé dans votre management ou si, votre entreprise, votre institution, a réellement modifié des pans de son action ? Pas l’émetteur lui-même. C’est pour cela que les « j’ai changé » de nos responsables politiques sont écoutés avec une distance sceptique voire ironique par une opinion échaudée par tant et tant de promesses. Quand Emmanuel Macron déclare « il m’est arrivé de blesser », la prochaine petite phrase clivante comme celle du chômeur qui n’a qu’à traverser la rue sonnerait le glas du mea culpa présidentiel. L’objectif de « sortie de crise » ne peut être atteint que si l’opinion s’approprie progressivement l’idée que le dirigeant ou l’entreprise a vraiment changé. Le testimonial, comme le bouche à oreille physique ou digital, seront ici plus forts que les proclamations triomphalistes.

Dans le climat de défiance généralisée que nous traversons, sans doute pour de nombreuses années, il faudra convaincre sans cesse que l’acte de contrition n’était pas larmes de crocodiles mais qu’il s’agissait bien de sincères excuses.

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