Chronique

Du temps où mon café préféré était encore ouvert, à chaque fois que je m’asseyais à ma table habituelle (toujours la même, on ne se refait pas), je pensais à Claude Brasseur et au fameux emplacement 17 de Camping. Claude Brasseur est parti (RIP), mon café n’est pas près de rouvrir et c’est tout mon business plan qui risque de prendre l’eau. Parce que je n’ai jamais trouvé plus efficace et plus agréable que le croissant business. Ce rendez-vous informel, loin des réunions avec leur ordre du jour, de leurs PowerPoint interminables, c’est ce moment où l’on voit la porte s’entrouvrir, ce moment où au-delà de la relation professionnelle, personnelle, amicale qui nous lie à nos clients, la petite flamme du commercial commence à s’animer. Parce que oui, même quand on adore comme moi son travail de consultant, on n’a pas honte d’être un commercial. Pas un vendeur de cravates non, pas un adepte du hard selling non plus, mais simplement un consultant qui sait que la preuve du pudding c’est qu’il se mange et que la preuve du conseil c’est qu’il se vend. 

Donc ce métier de commercial est ainsi fait : chaque année, un chiffre nous attend avec anxiété au lendemain du 1er janvier. Avec quel business acquis démarrons nous l’année ? 60%, 50%, 30% de notre business plan ? Chaque spécialité à son modèle, son point de passage de l’année précédente. Certains sont mieux lotis que d’autres, parce que la nature de l’activité intègre plus de récurrence. Mais au-delà de ces différences, parfois substantielles, nous partageons je crois le même sentiment : un peu comme Sisyphe et son rocher, le développement est un éternel recommencement. Que l’année N-1 ait été bonne, honnête ou médiocre, cela ne change finalement pas grand-chose. Il faut, chaque mois de janvier, repartir à la conquête, intéresser, séduire, convaincre. Revoir des anciens clients, chercher de nouveaux prospects, fidéliser ceux qui sont approchés par nos « concurrents et amis ». Et à vrai dire, ce n’est pas en janvier mais c’est dès septembre de l’année précédente que ce vrai stress vous étreint : Cette mission sera-t-elle reconduite ? Vont-ils lancer une consultation ? Le petit loupé sur telle opération remet-il tout en cause ? Y a-t-il du business développement à aller chercher chez ce client acquis ? Ce dirigeant avec qui j’ai mené tant de combats sera-t-il encore là ? Toutes ces questions hantent chaque année depuis la nuit des temps le sommeil des commerciaux. 

En matière de développement, rien ne remplace l’humain

Mais cette année, comment pouvoir se rassurer ? Les attentes de mes clients sont-elles toujours les mêmes qu’il y a trois mois, la dernière fois ou je les ai rencontrés « en vrai » ? Leurs arbitrages, leurs priorités sont-elles les mêmes ? Leurs enjeux personnels au sein de leur comex ont-ils bougé ? Comment le savoir, quand tant de réunions Skype ne permettent que de gérer les urgences, de dérouler les actions sans permettre de prendre un peu de hauteur ou de porter un regard prospectif. Bien sûr il y a le mail, le téléphone, mais je félicite ceux qui avec « objet-notre proposition » ou par SMS « j’ai une idée-je peux t’en parler » parviennent à atteindre leurs objectifs. Non, je ne sais pas faire. Pour vendre il faut écouter, il faut comprendre, il faut « sentir ». Percevoir que là on a visé juste ou pris un mur, que c’est une bonne piste à creuser, qu’on a défriché un champ qui ne l’était pas, et que tiens c’est étrange « ton agence n’y avait pas pensé ». Un peu comme le pêcheur à la ligne qui, après deux heures de silence, se dit que tout d’un coup « ça mord » ! 

Comme pour le management, en matière de développement aussi, rien ne remplace l’humain. Cette crise est dure. Bien sûr au niveau sanitaire. Évidemment au niveau économique. Mais aussi au niveau humain. Comme chacun, nous avons continué à travailler et plutôt bien. Nous nous sommes adaptés. Nous avons été présents. Nous avons fait des choses que nous ne savions pas faire. Mais si cette année a été éprouvante, ce n’est pas simplement parce qu’il nous est arrivé de perdre du business ou des contrats, c’est finalement pour une autre raison. En fait, nous avons perdu l’habitude de voir nos clients, de les entendre, de réfléchir en face à face avec eux, de nous projeter. J’ai toujours pensé que dans nos métiers, ce sont nos clients qui nous font avancer. Alors je vais vous faire une confidence. Si j’ai langui après mes croissants, c’est surtout parce que je suis pressé de retrouver nos clients.

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