Chronique

Il y a pile deux semaines, Antoine Compagnon donnait son dernier cours de littérature au Collège de France. Un ingénieur programmé pour construire des ponts qui consacre sa vie à Proust, Montaigne, Baudelaire a forcément des choses à nous apprendre quand il parle littérature et regarde le monde qui l’a produit. J’ai adoré son cours sur l’année 1966, année merveilleuse parmi les 30 glorieuses, une époque où les étudiants devenaient une classe sociale à part entière, où les « jeunes » s’apprêtaient à faire plusieurs révolutions, où tous les arts tournaient à plein régime : nouvelle vague, nouveaux romans… Les plans de relance passent par la culture et l’éducation ! Dans son cours inaugural sur l’année 1966, Antoine Compagnon retrouve une archive où l’on entend Georges Pompidou, agrégé de lettres, amuser son public lorsqu’il remet les prix du concours général et citer Antoine, le chanteur des Élucubrations qui prônait les cheveux longs et la vente de la pilule dans les Monoprix. Antoine Compagnon insiste sur le choix du premier ministre de l’époque de citer Antoine plutôt que Johnny Hallyday, déjà plus populaire à l'époque et que l’Histoire retiendra. C’est, selon lui, le principe même de la culture de masse – je préfère dire culture populaire –, un des faits marquants de cette grande année et un homme d’État ne peut que s’y soumettre. Alors, même si 2021 ne s’annonce, malgré tous mes meilleurs vœux pour chacun d’entre vous chers lecteurs, pas exactement comme une « annus mirabilis », qui Emmanuel Macron et Jean Castex devraient-ils évoquer ? Aya Nakamura ? Jul ? Bonnie Banane ? Ou un de nos jeunes startuppeurs dresseurs de licorne ? Mais, surtout, quel message espérer ? 

Je suis convaincu que les cheveux longs et la pilule à vendre dans les Monoprix de 2021 sont à trouver quelque part entre numérique et responsabilité sociale et environnementale. Un truc du genre de ce classique, usé, de la pop culture geek : la phrase de l’oncle de Spiderman, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Nous avons vu ces derniers mois que le numérique avait pris le pouvoir. Désormais, David est devenu Goliath, il doit donner l’exemple. Le numérique ne pourra plus jamais se cacher derrière le mantra de Mark Zuckerberg : « fail fast and break things », ni non plus derrière cette insupportable excuse, cette sorte d’« increvable » ou d’« as du volant » du jeu des 1000 bornes de l’entrepreneuriat, « fake it until you make it ». 

Et si la publicité en ligne donnait l’exemple ?

Dans Stratégies, prenons la balle au bond. Je ne sais pas si on pourra facilement demander à la publicité dans les aéroports, en extérieur, dans les médias, de faire pénitence et d’être encore plus vertueuse après le régime violent que la crise sanitaire lui aura fait subir. Et si la publicité en ligne qui sort vainqueure (le correcteur orthographique désapprouve mais il faut bien un féminin à vainqueur, non ?) donnait l’exemple et inventait un nouveau cadre pour un impact plus responsable sur au moins trois dimensions ? D’abord, la dimension environnementale, dans le choix des produits à promouvoir mais aussi de ses supports, qui peuvent être moins consommateurs de ressources. La dimension sociétale aussi : on a confié aux acteurs du numérique à la fois la rémunération des médias, nos données personnelles et la capacité de diffuser ou d’interdire les propos des leaders. Enfin, une dimension économique, car l’économie de la publicité sur Internet est caractérisée par une très forte concentration des revenus par un petit groupe d’acteurs. Bref, si on ne s’occupe pas rapidement de la publicité en ligne, qui reste le modèle économique numéro un de nos vies connectées, ce ne sont plus les mots d’Aya ou Bonnie que nous attendrons mais ceux de Churchill que nous entendrons : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. » 

Nous sommes quelques-uns à être convaincus que 2021 doit nous permettre de sortir de cette crise avec un modèle publicitaire plus vertueux. Et nous avons de premières propositions. D’abord, mesurer la performance à l’aune de nouveaux critères, plus justes, plus « durables ». Puis, former, expliquer, convaincre tout un écosystème de parties prenantes, bien au-delà du seul marché de la publicité, que de nouvelles pratiques sont possibles et nécessaires. Enfin, la convention citoyenne dont les conclusions ont été un peu étouffées par la crise sanitaire en 2020 est un appel à légiférer bientôt. Lois Evin, Sapin 1 et 2, anti-gaspillage et pour l’économie circulaire… le mouvement est inéluctable, d’autant plus souhaitable s’il est accompagné et anticipé par nous tous ici. 

Alors, en 2021, après tant d’épreuves, pour nos vœux professionnels, n’implorons pas la providence, mobilisons-nous !

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