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Le texte du chat avec Frédéric Filloux, de 20 minutes
19/10/2006Frédéric Filloux était l'invité du chat de Stratégies, organisé en partenariat avec CanalChat mardi 17 octobre. Retranscription de l'échange entre le directeur de la rédaction de 20 minutes et les lecteurs de Stratégies.
Bonjour à toutes et à tous, nous avons le plaisir d'accueillir Frédéric Filloux, directeur de la rédaction de 20 minutes !
Frédéric Filloux : Bonjour à toutes et à tous, let's go.
Monol : 20 minutes, c'est le nom de votre journal. C'est aussi, je suppose, le temps qu'il faut pour le lire. N'est-ce pas encore trop ?
F.F : C'est effectivement le temps qu'il faut pour le lire. 19-22 minutes, c'est le chiffre issu des enquêtes. Mais 20 minutes, c'est aussi censé être une tranche de la vie urbaine (on se voit dans 20 minutes, on s'est parlé 20 minutes au téléphone). On avait même envisagé une rubrique sur le sexe dont le titre était "20 minutes douche comprise", selon la formule d'un homme politique célèbre. Plus sérieusement, je crois que le temps de lecture des autres quotidiens est rarement supérieur à 30 minutes.
Gorillaz : Peut-on qualifier de journalistes les gens qui travaillent au sein de votre rédaction?
F.F : Il suffit, je pense, de lire tous les jours le journal pour avoir la réponse. Nos 80 journalistes travaillent exactement de la même façon que dans un quotidien classique.
Fee : 20 minutes est une référence de qualité dans le domaine des gratuits, et pourtant vous restez complexé et agressif, en continuant de crier que vous êtes un vrai journal avec des vrais journalistes. Pourquoi ce paradoxe?
F.F : Pour une raison simple : après cinq années passées à développer ce journal, à le construire jour après jour avec une équipe solide, chaque interview que je donne commence invariablement par des questions du type : "Vous flinguez la presse payante", "vous êtes un ramassis de dépêches", ou, comme je viens d'y répondre, "vos rédacteurs ne sont pas des journalistes". Donc une certaine impatience se fait jour, c'est sans doute un tort.
Edf : Pour quelle raison, après avoir annoncé haut et fort sa sortie, n'avez vous pas édité votre supplément économique (ndlr : Rien n'est gratuit) ?
F.F : Parce qu'il risquait d'alourdir nos comptes sur l'exercice 2006 dans sa phase de montée en puissance. C'est pour cela que nous l'avons reporté à 2007. Sur ce journal, nous sommes partis d'une intuition selon laquelle le rapport à l'argent des 20-40 ans s'est considérablement modifié au cours des dix dernières années, nous l'avons vérifiée avec quelques études et avons produit un numéro zéro (en 17 jours). Ce sera pour dans quelques mois.
JJ : 20 minutes fait il des bénéfices ? Et commencez-vous à gagner de l'argent ?
F.F : Nous devions faire 46 millions d'euros cette année pour être à l'équilibre. Nous ferons sans doute moins. Le journal devrait être à l'équilibre en 2007.
FC : Vous sentez vous responsable du désarroi de la presse quotidienne ? Et que pensez-vous de la situation de Libération avec l'arrivée éventuelle de Plenel ? Merci.
F.F : Non, je ne me réveille pas la nuit en me disant que la presse gratuite détruit les payants. Un, nous sommes allés chercher de nouveaux lecteurs : 75% de ceux qui lisent 20 minutes ne lisaient aucun quotidien avant notre arrivée. Deux, nous avons un lectorat dix à quinze ans plus jeune que celui de la presse payante. Trois, il est plus féminin (un lecteur sur deux est une lectrice contre moins de 40% dans la presse quotidienne nationale). Quatre, ce qu'on appelle les taux de duplication - c'est à dire ceux qui déclarent lire un autre titre que 20 minutes le matin - est faible : environ 2% pour un titre comme Libé, 6% pour Le Monde. Le journal avec lequel nous dupliquons le plus est Le Parisien (12% sur l'ensemble des lecteurs, plus de 20% chez les jeunes), or c'est celui dont la diffusion reste stable ou augmente par endroit.
Pourquoi ? Parce qu'au lieu de se réfugier dans une posture pleurnicharde, Le Parisien s'est mobilisé sur tous les fronts. Editorialement, c'est un quotidien remarquable dans sa capacité à trouver les bonnes infos et à les mettre en scène de façon accessible, à jouer la proximité avec ses lecteurs (parfois un peu trop à mon goût). Commercialement, ils ont amélioré leur présence dans le circuit de vente et sont très agressifs sur la pub. Ils se sont bougés et ça a payé.
Monol : Seriez-vous partant pour diriger la rédaction de Libération, qui manifestement cherche quelqu'un? Question subsidiaire: êtes-vous plutôt July ou Rothschild?
F.F : Non, je n'irais pas. D'abord, il y a suffisamment de gens compétents en interne pour ça. Ensuite, j'ai encore pas mal de projets à 20 minutes.
Free : 20 minutes, Metro, Direct Soir, bientôt Le Monde-Direct Soir... y a t il de la place pour quatre quotidiens gratuits à Paris?
F.F : Je n'en suis pas certain. Certes, le gâteau publicitaire peut encore grandir, mais la concurrence va être rude. En revanche, je constate qu'en Espagne, pas moins de quatre gratuits se partagent le marché. 20 Minutos, dirigé par des anciens d'El Pais est le premier avec 2,4 millions de lecteurs, pour un tirage de 1 million d'exemplaires sur 14 villes.
Free: Que pensez vous de Direct Soir ? Et du projet Bolloré-Le Monde ?
F.F : J'en pense du mal. Il entre dans la catégorie des gratuits qui tirent ce secteur vers le bas. Or, la bataille va se jouer sur la qualité éditoriale. A ce titre, le projet Bolloré-Le Monde, s'il voit le jour, sera un rude concurrent. D'autant qu'il va introduire une distorsion sur le marché, du fait que son actionnaire principal contrôle une partie du marché publicitaire.
Tibo : Peut-on dire que vous vendez du temps de cerveau disponible à vos annonceurs ?
F.F : Non. On fait du journalisme. Notre priorité le matin à la conférence de rédaction : déceler ce qui est pertinent et trouver le meilleur moyen de l'expliquer à nos lecteurs.
Lord : Faites-vous du journalisme de terrain ou travaillez-vous sur les dépêches d'agence ?
F.F : Une part croissante du journal est produite par nos rédacteurs. D'ailleurs, je m'interroge souvent sur le fait de résilier notre abonnement à l'AFP. Il nous coûte horriblement cher, et je préfèrerais de loin avoir quelques journalistes en plus sur l'actu. L'AFP est surtout utile pour les pages monde, et encore, nous avons à ce jour 17 correspondants à l'étranger. Ce sont des pigistes, mais qui ont la possibilité de nous faire du sur-mesure.
CC : Combien avez-vous de journalistes et allez-vous en recruter ? Jarhead : Est ce que vous embauchez ?
F.F : Nous allons embaucher sur le Net pour l'essentiel. Sans doute une vingtaine de journalistes en 2007. Pour l'heure, nous en avons 80, dont une douzaine de secrétaires de rédaction car, contrairement à ce que j'ai pu lire ici et là, ce ne sont pas les rédacteurs qui éditent leurs papiers.
John : Quel est votre premier concurrent ? Metro, Le Parisien, ou TF1 ?F.F : Sur le plan rédactionnel, c'est évidemment Le Parisien. Même s'ils ont des moyens que nous n'avons pas. Ils ont très souvent LA bonne idée d'angle ou de traitement. Sur le plan " business ", c'est Metro, mais nous les avons largement distancés sur l'audience, à Paris comme en province. Cela dit, il ne faut jamais sous-estimer ses concurrents, présents ou à venir.
Monol : Bonjour M. Filloux. Manifestement, vous méprisez les publicitaires. Est-ce parce que vous en fûtes un vous-même?
F.F : Non, je ne les méprise pas. J'assume très bien mon passage en agence. En 1996, j'ai été recruté par deux types exceptionnels, Nicolas Bordas et Jean-Claude Boulet. J'ai énormément appris à leur contact. Mais j'ai aussi découvert très vite que le journalisme me manquait.
Jean-Luc : Bonjour, vous avez relaté sur votre blog vos aventures avec les agences de pub que vous avez consultées pour communiquer sur votre marque. Quelles ont été leurs réactions ?
F.F : Trois types de réactions. Certains ont pris ce blog pour ce que c'était : un récit satirique, et sans prétention. D'autres se sont réfugiés dans un silence agacé. Un troisième s'est fendu d'une réponse assez peu créative, ce qui est ennuyeux vu son job, et qui était même très insultante pour une jeune femme, membre de la direction de 20 minutes. Stratégies a relayé la réponse de ce publicitaire sans faire preuve d'un grand discernement. Je m'en suis expliqué avec son rédacteur en chef et l'incident est clos. Il ne l'est pas avec celui qui a eu des propos orduriers et sexistes pour la directrice marketing de 20 minutes.
Drine : Comment fonctionne le tandem "pub-rédac" chez 20 Minutes ?F.F : La pub fait son job, je fais le mien. Elle découvre le contenu du journal le matin avec le reste des lecteurs, et nous montre les pubs un peu envahissantes (graphiquement) . Nous les acceptons ou non. J'avais fait mettre dans mon contrat de travail un droit de veto absolu sur la pub dans le journal. Je n'ai jamais eu à l'exercer.
John : Vous écrivez un blog. Où trouvez-vous le temps ?
Fee : Vous êtes journaliste, écrivez dans votre journal et êtes bloggeur en même temps, en hors piste. Pourquoi cette duplicité ? Un support pour la langue de bois, et un autre pour la langue de moi ?
F.F : Je vais fermer ce blog. J'avais mal estimé le fait que la lecture qui en était faite me plaçait toujours en position " es qualité ". C'était le directeur de la rédaction de 20 minutes qui s'exprimait. Donc, tout le contenu de ce blog risquait d'être analysé selon cette grille de lecture. Le conflit de " perception " était évident. Par ailleurs, si je ne suis pas très sensible aux avertissements aimables qui me sont adressés personnellement (" fais gaffe, ça va finir par te coûter ton job "), j'ai très mal vécu les menaces - légères - qui se sont mises à planer sur le journal. J'estime que ma première responsabilité va à 20 minutes, à ses 150 personnes et à ses journalistes. Je ne me sens plus le droit de les exposer à une quelconque forme de représailles ou à des attaques personnelles hors de proportion avec ce que j'ai pu écrire.
Loppi : Les bloggers sont ils des journalistes?
F.F : Non. Ils n'ont ni la formation, ni les moyens, ni la distance nécessaires. Mais ils sont, je pense, essentiels dans le débat démocratique. Ils constituent un observatoire formidable de la société et ce serait une erreur monumentale de ne pas en tenir compte.
Thom : Par rapport aux quotidiens payants, 20 minutes a un avantage très net dans le papier : il est gratuit. En revanche, sur le Web où ils sont gratuits, les quotidiens payants, comme Le Monde ou Libération supplantent 20 minutes par la richesse de leurs contenus. Comment pouvez-vous les concurrencer ?
K : Allez-vous développer votre site ? Et que comptez vous faire ?
F.F : 20 minutes a un périmètre sciemment réduit. Sa fonction est parfaitement définie, très " lisible ". Nous la remplissons avec soin et, je pense, professionnalisme. Nous n'allons pas sortir de cette fonction - un quotidien urbain complet, rapide à lire, accessible. Aux payants, il reste un vaste champ. Celui de la valeur ajoutée des grands papiers, des reportages, de l'analyse, du débat d'idées. A eux de se mettre en ordre de marche pour remplir cette fonction-là. Certains le font, d'autres ont plus de mal. Internet est un axe de développement essentiel pour 20 minutes. Il doit nous permettre de compléter notre offre éditoriale : le fait que nous ne paraissons qu'une fois par jour et seulement cinq jours par semaine.
Armand : Croyez-vous au quotidien sportif que prépare Métro ?
F.F : Oui, c'est une excellente idée. Metro a plus de moyens que nous pour le faire en raison de son alliance avec TF1.
Mila : Peut-on imaginer une diversification de 20 Minutes sur d'autres médias, comme une télévision locale à Paris par exemple?
F.F : Ce serait logique, sans doute. Mais nous sommes déjà très occupés avec nos affaires actuelles.
Armand : Si vous n'aviez-pas été journaliste, qu'auriez-vous fait ?
F.F : De la photographie.
Daniel : La grande distribution va pouvoir faire de la pub TV, avez-vous des craintes en termes de recettes pub ?
F.F : Je n'en sais rien. Je pense que notre offre est différente, elle doit permettre une pub plus précise, plus informative.
Daniel : Pensez-vous comme François Bayrou que la presse roule pour Sarkozy ?
F.F : Je pense que la presse a bipolarisé de façon excessive la question en se focalisant sur Ségo-Sarko. Nous ne sommes pas assez vigilants sur la possibilité de scénarios alternatifs.
Monol : Vous avez dirigé la rédaction de Libé. Votre analyse de sa crise actuelle?
F.F : Libé a incontestablement sa place dans le paysage de la presse française. Mais ce journal s'est développé sur un total déni du " fait économique ". Ses actionnaires ont toujours été vus comme n'ayant qu'un seul droit : payer et la fermer. Le dernier s'est rebiffé, sans doute pas à bon escient. Par ailleurs, Libé a toujours mis en avant des causes exogènes à son propre déclin, une déconnexion croissante avec le lecteur, une absence de sérieux dans la gestion. J'ai entendu, durant mes douze ans de présence, le Minitel, la télé par câble, le téléphone portable et Internet être rendus successivement responsables de sa crise. Aujourd'hui, ce sont les gratuits qui le seraient. Je me demande simplement si à l'heure actuelle, ce journal a encore suffisamment de ressorts internes pour s'en sortir. Connaissant son équipe, je veux le croire.
Merci beaucoup Frédéric Filloux, le mot de la fin ?
F.F : La presse a encore un magnifique avenir devant elle. Elle reste inégalable dans sa capacité à offrir de la profondeur et du sens au journalisme. Simplement, le modèle d'un journal papier seul n'est plus tenable. Merci à tous pour ces questions. J'ai été sincèrement ravi de tchatter avec vous.