En 2004, Patrick Le Lay jetait un pavé dans la mare en déclarant que TF1, chaîne de télévision qu’il dirigeait alors, avait pour mission de vendre «du temps de cerveau disponible» à des annonceurs. Le contexte de cette célèbre formule est moins connu alors qu’il comporte un enjeu tout à fait moderne pour le marketing et la publicité d’aujourd’hui: «Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible.»

A l’époque où Patrick Le Lay s’exprimait, le marketing digital n’en était qu’à ses balbutiements. Depuis, ordinateurs, tablettes et mobiles sont partie intégrante de notre quotidien. Ces terminaux, parfois utilisés les uns en même temps que les autres, ont considérablement augmenté le temps que passent les consommateurs sur les médias, mais aussi la volatilité de leur disponibilité.

L’accroissement exponentiel du nombre d’occurrences publicitaires permet à chacun de tirer le constat suivant: l’attention des consommateurs est de plus en plus difficile à capter et à retenir. Assailli par des messages publicitaires qui lui sont continuellement «poussés», le consommateur réagit par une attitude au mieux d’indifférence – phénomène qualifié d’«ad-blindness» par les Anglos-Saxons –, au pire de rejet en installant des adblockers ou en pestant lorsqu’il est en proie au retargeting.

A l’heure où nos vies prennent un rythme effréné, où les informations déferlent en surabondance, où l'offre de services et produits devient pléthorique, l’homme connecté entend adopter une attitude active plutôt que passive. Pour ce faire, il cherche à reprendre le contrôle en affirmant son autonomie sur le moment où il choisit de s’informer et exerce son esprit critique vis-à-vis de ce qui lui est présenté. En un mot, il attribue – consciemment ou non – une valeur plus importante que jamais au temps d’attention dont il dispose, ressource limitée qui s’amoindrit à mesure que le phénomène «d’infobésité» s’amplifie.

Comme toujours en matière de transformations sociétales, le consommateur dispose d’une certaine avance sur les annonceurs qui, pour certains, continuent à «marteler» sans tenir compte de cette profonde mutation. A l’inverse, les mêmes rechignent souvent à investir dans des modèles digitaux, jugés «trop chers» (au coût par clic, ou mieux, au coût par engagement) en comparaison des coûts au contact proposés par les médias traditionnels.

Pourtant, les premiers peuvent justifier d’avoir attiré un consommateur attentif à du contenu qu’il a choisi de consulter, alors que les seconds ne sont que des expositions subies passivement. C’est sans doute ce qui a poussé Joe Marchese, patron de la régie américaine True X, à écrire dans The Wall Street Journal il y a quelques semaines: «Le delta entre la façon dont les humains valorisent leur attention et le prix que les annonceurs pensent qu’ils devraient payer selon le standard historique de “l’attention potentielle” est en train de tuer la publicité!»

A l’inverse, d’autres acteurs – sans surprise parmi les GAFA – ont su capter les signaux faibles de cette transformation depuis plusieurs années. Ils ont, très tôt, pris des positions pour s’assurer une part confortable de l’attention des utilisateurs. Facebook règne en maître sur le mobile en s’octroyant 30 à 40% du temps d’usage des mobiles.

Il ne faut pas chercher ailleurs les fondements de la valorisation de Whats App il y a déjà plus d'un an: rares sont les applications qui, sur mobile, parviennent à capter et à retenir autant l'attention des utilisateurs. Facebook a donc tout simplement acquis «du terrain» sur le grand Monopoly du mobile, quitte à y construire des maisons ou des hôtels en temps utile. L’ère du marketing de l’attention ne fait que commencer.

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