Ad-blockers
Face à l'essor des bloqueurs de publicité et à l'agacement des internautes, les professionnels se remettent en cause et tentent d'édicter de nouveaux standards.

La croissance exponentielle de la pub online, en passe de rattraper la part de marché de la TV dans les grands pays, risque de bientôt se heurter à un mur: le phénomène des ad-blockers. Par ailleurs, les estimations sur la fraude ne cessent de monter et des intervenants majeurs comme Facebook avouent des «erreurs sur les concepts» utilisés, conduisant à une réelle surfacturation endémique de 60-80%, révélée par le Wall Street Journal. Les annonceurs, par la voix de la World federation of advertisers (WFA), s’insurgent: «Advertisers can't afford to continue their current "complacent" approach to ad fraud… that could be a $50bn a year industry by 2025» et publient un livre blanc sur le sujet.

La gangrène s’étend, surtout chez les jeunes

Les sources sont diverses et les chiffres parfois contradictoires, mais l’ampleur, la dynamique et la sociologie du phénomène sont claires… et inquiétantes.  Dans le monde, on estime à 415 millions, à la mi-2016, le nombre d’internautes actuellement équipés d’un ad-blocker, exaspérés par le harcèlement publicitaire dont ils se considèrent victimes lorsqu’il sont connectés à internet sur leurs divers «devices»… et surtout leur mobile. Aux États-Unis, en 2015, 20% des utilisateurs étaient équipés d'un ad-blocker, selon Emarketer, et la prévision s'élève à 32% pour 2017. Le rythme de croissance le plus fort concerne les mobiles, pour lesquels la part d'équipés devrait atteindre 11% en 2017.

Si le système Adblock Plus, il est vrai, ressemble à de l’extorsion de fonds - puisqu’un éditeur peut s’en libérer en payant le fournisseur pour que son site soit épargné - ce phénomène inquiète à juste titre les éditeurs. Ces derniers y voient une perte considérable sur une source majeure du financement de leur contenus, mais aussi les annonceurs, conscients de l’irritation grandissante des internautes, et enfin les instances du monde digital, comme l'IAB, qui se sentent coupables («We messed up»).

Franchement, était-ce si difficile à prévoir? Dès l'an 2000, on savait qu’internet ouvrait le monde du «permission marketing»: on ne me proposait des messages que si j’étais d’accord pour les recevoir. Dès 2007, une étude réalisée par l'agence Australie et Ipsos montrait que, pour les jeunes, le problème n°1 de la publicité était son caractère intrusif, plus que pour le reste de la population. Or, la pub sur internet est encore plus intrusive voire paralysante. Quelques exemples:

- Criteo: subir des semaines de publicité spécifique à la périphérie de toutes les pages qu’on ouvre parce qu’on a consulté un prix sur un site, et ce, des semaines après avoir acheté, peut s'avérer assez irritant et surtout inutile.- Roll-on videos: impossible à éviter, ce qui conduit à devoir attendre au bas mot 30 secondes pour voir une vidéo publicitaire… parfois beaucoup plus courte. Et si on essaie de supprimer celle-ci, on la relance souvent depuis le début. On peut ainsi voir, dans la même journée, dix fois la même vidéo publicitaire si on retourne sur ce site. Overdose. Bref, c’est pire que la répétition des spots TV.

- Les pop-up envahissants sur mobile occupent carrément tout l’écran, créant un sentiment profond d’invasion et une expérience utilisateur catastrophique.- Le bombardement de propositions visuelles non demandées, périphériques à votre souhait principal, est tel qu’il est parfois presque oppressant. Vite, chercher la croix d’annulation, résister à ces propositions qui s’agitent, vibrent, clignotent, bougent avec votre scroll, etc.

Vers plus de lucidité?

De nombreux experts encouragent la profession à se remettre en cause profondément. Elle est en train de le faire et travaille sur un code de bonne conduite. «The Coalition for Better Ads», alliance mondiale fondée par 18 membres, dont les grandes associations (IAB Europe et États-Unis, American Association of Advertising Agencies), les géants de l’industrie digitale (Google, Facebook), ainsi que de grands annonceurs (P&G, Unilever), se précise. Objectif: lutter contre l'essor de l’ad-blocking, mais surtout édicter de nouveaux standards pour la publicité digitale.Il est grand temps. Selon plusieurs études américaines, tandis que le citoyen adulte d'une grande ville était à soumis à 2000 messages visuels ou sonores par jour vers la fin des années 1990, il est aujourd’hui confronté à 5000 messages. Et les 3000 supplémentaires, relèvent du digital…

Alors que tous les éditeurs et agences nous vantent les vertus du big data qui permettra d’envoyer des messages toujours plus ciblés, le risque est double: que le consommateur ferme la porte en n’admettant plus de cookies et en fonçant vers l’ad-blocking, et que le législateur, surtout européen, érige des règles très restrictives sur les données personnelles au nom de la protection du consommateur. On en reparlera sûrement, et vite.

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