Chronique

Les sanglots longs des violons de l’automne… Changement de saison, temps maussade, heure d’hiver et fête des morts sans doute, je me dis souvent ces dernières semaines que nous sommes «passés à autre chose», que le digital est mort, ses feuilles sont tombées et son esprit n'est plus nulle part puisque désormais partout.

Prenez CDO, Chief Digital Officer, un titre dont on n’a jamais su si c’était celui d’un nouveau directeur général ou d’un ancien webmaster. Un CDO dans une organisation, c’est un début d’aveu, la transformation numérique serait encore à lancer, le digital un sujet à (dé)couvrir. Pas terrible.

Digital et alors? L’être n’est plus une garantie de modernité. Yahoo! est notre ORTF et les grands-parents sont sur Whats App. Les professionnels de la profession et de l’innovation reviennent aux fondamentaux, les VC (capital-risqueurs) souhaitent réinvestir la «deep tech». Les technologies issues des sciences et de la recherche, profondes donc, comme si justement le digital était devenu superficiel. Pire, même la mode lui échappe, le «new cool» n’est pas numérique. Tesla ! Space X ! Boston Dynamics ! Bagnoles, fusées et robots. C’est plus les nouvelles aventures de Tintin que cette dimension parallèle et surprenante qui nous avait apporté l’iPhone mais aucune voiture volante.

Le transfert et la fête sont finis. Les médias sont les premiers sans doute avec l’industrie musicale à avoir subi leur transition numérique. Des pure players flamboyants, petits malins ou génies créatifs, avaient émergé et faisaient la pluie et le beau temps. Vice, BuzzFeed, Mashable… Leur étoile a pâli à son tour. BuzzFeed décroche de sa trajectoire et, valorisé plus de 250 millions il y a peu, Mashable vient de changer de main pour 50 millions.

D’ailleurs, on ne parle plus de digital dans le digital. En dehors de ce qui restera pour toujours nos quatre marronniers:

(1) la guerre des talents, (2) comme dans chaque corporation, on ne se rend pas compte que nous sommes le secteur économique qui mérite toutes les faveurs, (3) bulle ou pas bulle et (4) on ne finance pas assez les start-up et les grandes entreprises devraient mieux contribuer à l’effort des petites de les remplacer.

Les deux sujets depuis un an, ce sont l’intelligence artificielle et la blockchain/le bitcoin. Celui qui a connu les vagues précédentes peut rester sur sa faim, bien sûr, ces sujets sont passionnants –ils sont sans doute les meilleurs depuis la création d’Internet– mais objectivement, ils ne sont pas préhensibles comme les précédents. Avant, ce que j’ai tant aimé du digital, c’est que n’importe qui devenait expert de n’importe quoi en un mois. J’aimais répéter à tous les débutants qui m’entourent qu’ils avaient la chance de pouvoir «être jeunes et avoir raison». C’est toujours possible, mais il vaut désormais mieux être docteur ou diplômé en computer science.

Start-up is dead

Snap(chat) s’effondre en Bourse. Savez-vous me désigner une start-up, une vraie comme un perdreau de l’année, qui ait explosé récemment? Pendant 15 ans, on pouvait faire chaque trimestre comme un top 50 des meilleures et elles changeaient tout le temps.

Facebook qui copie Snapchat avec ses Instagram Stories le met KO debout, c’est la preuve que depuis bien longtemps, toujours les mêmes, Google, Facebook, Amazon et Apple (l’ordre est choisi) ont des moyens et une puissance sans limites pour lancer des services en rupture avant les autres (véhicule autonome chez Google), renforçant leur modèle (Amazon Prime), copiant celui de leurs rares et meilleurs compétiteurs (Instagram Stories, Apple Music). Depuis 1998, Google nous dit que nous serons toujours à un clic de changer de moteur de recherche et que quelque part dans un garage, on invente le service qui le remplacera… vous y croyez?

Uber aussi, la première start-up à avoir grandi aussi vite et assumé le côté obscur de la force. Et de nombreuses faillites, quelques scandales en 2017 (Theranos, Jawbone, Take Eat Easy en Europe, …), à vérifier, mais c’est pour moi la première fois depuis le krach de mars 2000 que ce type d’informations surgit. Mille bonnes raisons à ça et je ne crois pas à une bulle mais, en revanche, à une forme de maturité. Les start-up ne sont plus toutes ces gentilles petites organisations formées de jeunes utopistes à qui on donnerait le bon dieu et le NASDAQ sans confession.

Silicon Valley is dead aussi

Qui veut encore avoir sa Silicon Valley? De Montauban à New York, 20 ans que c’est le modèle et le Graal des territoires et des politiques industrielles. D’abord, et c’est un point essentiel, comme quand un joueur domine un sport trop longtemps, on finit par se lasser de la compétition, la Silicon Valley est tellement forte et insurpassable qu’on ne cherche plus à la copier pour forcément faire moins bien.

Baiser du scorpion, toute la Silicon Valley (sauf Peter Thiel) était contre Trump et soutenait Clinton. Elle a perdu. Et la victoire de Trump, ce sont des mesures anti-Silicon Valley (visas pour les travailleurs du monde entier qui sont l’essence de la Silicon Valley) et un repoussoir pour les progressistes du monde entier qui, comme dans L’Or de Blaise Cendrars, ont vu en la Californie un eldorado accessible.

La Silicon Valley est devenue futile aussi. Extracteur de jus de fruits à 500 dollars, machine à thé connectée à 1000, appli pour garer sa voiture… tout le monde a bien conscience que le logiciel qui mange le monde est en train de manger (aussi) la croûte. Nous sommes exigeants et la promesse était de changer le monde. Et dans ce domaine? Ce n’est pas joli. J’y pense souvent, alors je me répète: l’affaire Weinstein débute chez Uber, à San Francisco, en février 2017. Une femme développeur quitte l’entreprise et publie un billet de blog chirurgical sur les violences faites aux femmes et la chute concomitante de 25% à 3% du taux de présence des femmes dans les départements d’ingénierie du leader du transport à la demande. Comment croire encore longtemps que la Silicon Valley changera le monde, entre mâles blancs, entre jeunes peut-être, mais ce n’est pas la qualité la plus durable et la plus engageante dans un monde qui doit savoir intégrer ses vieux (personnes physiques et morales)?

C’était mieux avant? Plutôt mourir électrocuté par un Juicero dans un jacuzzi connecté. Un hiver quelque part est un été ailleurs. Alibaba a vendu la semaine dernière pour plus de 25 milliards en une journée, son premier milliard atteint en 2 minutes. Sur Internet ET en magasins. L’Estonie invente les outils d’une démocratie connectée. Les biotechs, la santé deviennent aussi, relativement, plus intéressantes et, tiens, c’est un domaine d’excellence français. L’économie sociale et solidaire et les fameuses entreprises de taille intermédiaire, qui ne sont pas toutes des start-up, loin de là, trouvent enfin leurs lettres de noblesse: un capitalisme différent, qui n’est ni celui de la Valley, ni celui des grands groupes globalisés. Le service aussi, parent pauvre du digital, revient, regardez le champ des fusions-acquisitions dans les domaines des agences et du conseil. Enfin, on se libère des modèles parce qu’on les maîtrise: Silicon Valley, organisations agiles, génération Y (ils ont trente ans, des emprunts et des enfants, vous savez !), nous avons des convictions et de la pratique. Il est donc temps d’inventer. Et de trouver un nouveau digital. Comme le phénix...

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