Tribune
En campant sur une approche traditionnelle avec un discours corporate top-down, diffusé par des tiers dont la dépendance ne dupe plus personne, les marques s’interdisent la retombée des bénéfices escomptés de l’influence.

Le marketing d’influence est le nouveau graal des directeurs marketing: le social shopping se développe (72% des utilisateurs Instagram se décident à acheter quelque chose après l’avoir vu sur le réseau social, d’après une étude menée par L2 en octobre 2017) et les marques prennent conscience d’une nécessaire décentralisation de leur communication, les canaux classiques de la pub diffusant un message top-down étant décrédibilisés.

Alors que les consommateurs traquent l’authenticité des discours de marque et deviennent consomm’acteurs dans leur démarche, ils redéfinissent les règles d’allocation de leur confiance et avec l’investissement massif des marques dans le marketing d’influence. L’influenceur se professionnalise jusqu'à devenir un nouvel avatar du format publicitaire. Au risque de devenir contre-productif?

Un influenceur se définit comme «une personne qui utilise un blog personnel et/ou tout autre support (forums, réseaux sociaux et communautés) pour diffuser ses opinions auprès des internautes et qui est capable d'influencer ces derniers en modifiant leurs modes de consommation». Au départ, l’influenceur est un utilisateur, peut-être plus engagé qu’un autre, qui a décidé de partager son opinion et son expérience avec ses pairs, et qui est écouté. Mais lorsque les marques s’emparent de cette force de recommandation, l’influenceur ne devient-il pas une égérie à leurs services, au même titre qu’une Cindy Crawford d’un autre temps nous vendant un shampooing parce que nous le valons bien?

Vies de rêve

Instagram a ses leaders, une caste merveilleuse faite de beautiful people, menant des vies de rêves aux quatre coins du monde mais surtout affichant dans leur bio une liste sans fin de hashtags de marques sponsorisant leurs posts (obligation plus ou moins claires selon les pays pour informer le lecteur du niveau d’authenticité du post…).

Ces icônes agissant chacune dans leur domaine d’expertise – beauté, mode, lifestyle ou encore fitness – partagent leur quotidien incroyable au travers d’images et de vidéos. Lorsque l’on regarde de plus près ces communications, où est la relation de pair à pair? Quelle est l’authenticité de cette vie? Qui peut se reconnaître au travers de la vie d’un Valentinlucas9, top influence mode masculine en 2017 selon l’agence Lefty?

Le quotidien est le prétexte pour le placement de produits avec une mise scène toujours parfaitement soignée. Et si j’organisais un week-end pour mettre en lumière mon sac Lacoste? Ce monde parallèle frôle parfois le ridicule lorsqu’une jeune femme sortie d’un soap opéra des années 90 vante en peignoir de soie les mérites d’une brosse à dent.

Syndrome du «brand influencer fatigue»

Mais les dommages peuvent être bien plus importants, lorsque les influenceurs débordés deviennent négligents et oublient de supprimer les guidelines de l’attaché de presse de la marque qui a rédigé le post. Déjà les premières fissures d’un système dévoyé apparaissent: le syndrome du «brand influencer fatigue». Les premiers signes d’une lassitude des consommateurs exposés à ces pubs de plus en plus mal déguisées dans les sphères les plus intimes de leur quotidien se font sentir.

Et certaines marques en font les frais. A aller trop loin dans la peinture d’un monde cool et beau, Sprite s’est faite rattrapée par ses consommateurs. C’est ce que Cole Sletten, creative director de Ready Set Rocket, décrit dans un article paru dans Forbes en janvier 2017 comme l’«influencer fatigue». Les consommateurs n’apportent plus de crédit à ces superstars des réseaux sociaux qui font la promotion sans relâche de produits, pouvant passer de la promotion d’une voiture à celle de produits écoresponsables.

Naturellement, les directeurs marketing se sont donc détournés de ces mastodontes corrompus pour aller chercher la fraîcheur du côté des micro-influenceurs, qui touche quelques milliers de followers seulement. Pas sûr pour autant que ce soit la solution d'avenir.

Conditions de la confiance plus réunies

L’objectif de l’influence marketing est de canaliser, orienter voire diriger le traditionnel bouche-à-oreille pour le mettre au service du discours de la marque. En un mot, la marque élabore le discours et trouve les bons porte-voix pour le délivrer à leur place. Les ingrédients du succès sont l’authenticité perçue et la confiance créées. Les experts du marketing d’influence l’ont bien compris. Ainsi, comme l’explique Mark Shaeffer, executive director de Schaefer Marketing Solutions LLC dans le rapport Influence 2.0, The Influencer Marketing, «le véritable pouvoir du marketing d’influence provient de réseaux d’individus, de collaborations à long terme aboutissant à une compréhension et un soutien authentiques, d’un contenu de qualité et de confiance vu et partagé par une audience pertinente, et de la recommandation en face-à-face ou par le bouche-à-oreille».

Or les mécaniques utilisées aujourd’hui pour créer cette confiance reposent sur un modèle de relation ne permettant plus de créer les conditions de la confiance. Dans ses travaux, Rachel Botsman étudie comment les nouvelles technologies et les nouvelles formes de collaborations entre consommateurs influencent la confiance dans notre société. Au départ locale, la confiance a été transférée à des personnes morales au milieu du XIXe siècle.

Ce modèle de confiance est entré en crise au XXIe siècle avec la remise en cause de l’intégrité de ces personnes morales: scandales financiers, politiques, écologiques ou de sécurité ont interpelé les citoyens et les ont poussés à s’organiser. Leur confiance n’est plus irrémédiablement et irrévocablement transmises à ces institutions, elle se gagne, sur de nouvelles valeurs. La confiance autrefois institutionnelle se caractérisait par une centralisation à l’extrême et une relation top-down dans les relations là où la confiance aujourd’hui se construit sur la transparence, l’inclusion, la décentralisation et une relation plus horizontale entre citoyens et institutions.

Prise de contrôle incompatible

Ainsi, en campant sur une approche traditionnelle avec un discours corporate top-down, diffusé par des tiers dont la dépendance ne dupe plus personne, les marques s’interdisent la retombée des bénéfices escomptés de l’influence. Le marketing d’influence, tel que capté par les marques aujourd’hui, ne peut pas fonctionner. La prise de contrôle par celles-ci est fondamentalement incompatible avec l’émergence d’une parole de consommateur authentique et crédible.

L’influence est un enjeu majeur et un potentiel de création de valeur considérable pour les marques. Mais ne nous méprenons pas: la crédibilité au coeur de cette stratégie ne s’achète pas. Les marques peuvent maîtriser les moyens mais pas le résultat. Il ne s’agit plus d’investir en monnaie sonnante et trébuchante pour façonner de nouvelles égéries mais bien de créer les conditions favorables à des relations de confiance durables avec l’ensemble de ses consommateurs.

Il s’agit là d’un investissement en temps et en actions concrètes. Et parmi ces consommateurs, vous n’êtes pas à l’abri de voir émerger des consommateurs convaincus et engagés qui auront envie de parler de ce que vous êtes, voire mieux, de partager ce que vous faites. L’influenceur ultime n’est-il pas le client satisfait?

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