Tribune
Modèle sur abonnement, journalistes qui cherchent à valoriser leur expérience, place de marché: les médias en ligne semblent en voie de trouver enfin leur modèle économique.

Il y a 21 ans, le New York Times basculait dans l’ère numérique. Le média américain lançait sa version en ligne qui s’inscrivait dans une stratégie «visant à étendre [son] lectorat et à créer des opportunités dans le secteur des médias électroniques». Plus de deux décennies plus tard, les médias pensent toujours à leur transition digitale qui risque de se révéler de plus en plus compliquée dans les années à venir.

Rattrapé par l’essor des ad-blockers, le modèle économique basé sur les revenus publicitaires qui a dominé le marché ces dix dernières années s'essouffle et pousse les médias à repenser leurs modèles de monétisation. Bloomberg a, par exemple, lancé en décembre dernier une chaîne d’information en continu exclusivement sur Twitter baptisée TicToc. Avec plus d’un million de visites quotidiennes et 130 000 abonnés sur son compte Twitter, TicToc donne la part belle aux internautes en sélectionnant tweets et breaking news. De son côté, Snap, la maison-mère de Snapchat, a versé plus de 100 millions d’euros à ses partenaires médias en 2017, signe positif pour cette industrie devenue un allié indispensable de la plateforme sociale pour séduire les Millennials.

Nécessaire réinvention

Mais le salut des médias passe-t-il nécessairement par les plateformes sociales? Doivent-ils renoncer à leur indépendance technologique pour continuer d’exister auprès de publics toujours plus exigeants en matière d’expérience utilisateur? La réponse est non. Comme toute industrie disruptée par les nouvelles technologies, le secteur des médias a pris conscience de sa nécessaire réinvention. Et face aux enjeux technologiques auxquels ils font face, ils peuvent s’appuyer sur des outils performants dans le cloud, qui leur donne l’agilité nécessaire pour trouver leur juste modèle économique et diversifier leurs revenus.

Parmi les modèles qui gagnent du crédit figurent les business models transactionnels, comme l’abonnement en ligne et les places de marché. Ces modèles, particulièrement adaptés au monde numérique et à la consommation mobile, modifient déjà la manière de consommer (et de créer) des contenus en ligne, et valorisent la qualité et la synthèse, au détriment du flot continu d’information à faible valeur ajoutée.

Plébiscité par les nouveaux entrants

Le modèle sur abonnement est l’une des solutions les plus éprouvées par les éditeurs de presse, car il s’agit d’un modèle que le secteur a déjà utilisé avec succès pendant son âge d’or. Et grâce aux nouveaux modèles en mode SaaS (Netflix, Spotify …), sans engagement, sans support physique, et qui étalent le coût d’un service dans le temps, les consommateurs sont de plus en plus enclins à payer un abonnement numérique pour consulter l’actualité. Deloitte prévoit que d'ici la fin de l'année, 50% des adultes des pays développés seront abonnés à au moins deux médias exclusivement en ligne, et que d'ici la fin de 2020, le nombre d’abonnements sera multiplié par deux.

Ce modèle est plébiscité par les nouveaux entrants sur le secteur: Explicite, le média vidéo créé par des anciens d’iTélé, a choisi un modèle par abonnement et sans publicité. AOC, ce nouveau média français sur abonnement lancé par Sylvain Bourmeau, ancien journaliste chez Libération, propose depuis le mois de janvier 2018 de consulter trois articles par semaine – une analyse, une opinion et une critique d’auteurs – sur la base d’une réaction à l’actualité dans les 48 heures.

Les médias traditionnels aussi

Ce phénomène va bien au-delà de nos frontières. A l’international, des éditeurs de niche basés sur le modèle de l’abonnement tels The Second Arrangement (Kelly Dwyer sur la NBA) et The Hustle (bulletins d’informations technologiques et économiques) parient également sur la valeur de contenus spécifiques de haute qualité. The Hustle a connu un revirement impressionnant: avec plus de 500 000 abonnés et un taux d’ouverture de 40 % (soit le double du pourcentage sectoriel), le média prévoit d’étendre ses services en 2018.

Si bien que les médias traditionnels investissent aussi sur ce modèle bien plus rentable à long terme. L’Equipe semble adopter cette nouvelle stratégie média tout comme Ouest-France, qui vient tout juste de lancer une nouvelle offre pour ses abonnés dans le Calvados: le pack famille qui compte pas moins de six publications numériques.

Les journalistes aussi

Les modèles sur abonnement ne sont pas les seuls à gagner en popularité auprès des lecteurs. A mesure que des médias français traditionnels sont contraints de restreindre leur activité et suppriment des emplois, nombreux sont les journalistes talentueux qui cherchent à valoriser leur expérience, à garder le contact avec leur public, avides de leur plume.

Medium, qui redistribue les frais d’abonnement en fonction du nombre d’applaudissements que les auteurs reçoivent en ligne pour chaque article de la part des lecteurs, est une parfaite illustration de ce nouveau modèle. Et avec Purple, les auteurs peuvent contacter directement leur communauté de lecteurs abonnés via SMS pour les informer d’une actualité. Substack offre à tout rédacteur les outils nécessaires d’auto-édition – hébergement, publication et facturation – pour devenir un auteur à succès tel Bill Bishop, dont la lettre d’information quotidienne sur la Chine, Sinocism, est suivie par plus de 30 000 abonnés.

Etre optimiste

Pour les publications ponctuelles, Issuu a récemment lancé Digital Sales alors que le portail web français La Presse Libre donne accès sur abonnement à un éventail de sites presse comme Mediapart et Les Jours. De son côté, le journal L'Équipe a lancé en 2016 sa propre place de marché, L’Equipe Store, pour explorer une nouvelle forme de monétisation de son audience. Ce site marchand propose aujourd’hui plus de 70 000 références d’articles de sport, issus des 70 disciplines sportives couvertes par le média.

Il existe de nombreuses raisons d’être optimiste: au cours des quatre derniers mois, des médias innovants comme Medium, Substack, Digital Sales d’Issuu et Purple ont connu des taux de croissance semblables à ceux des startups les plus performantes. Faut-il y voir la fin de la crise pour la presse? Il est trop tôt pour le dire, et nul ne saurait prédire quel modèle économique finira par l’emporter. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que les prochaines années feront la part belle au test & learn et à la diversification des modèles de monétisation. Que ceux qui se soucient de la stabilité d’emploi des créateurs, des éditeurs et des journalistes sur le long terme se rassurent: plus que jamais, les médias ont un bel avenir devant eux.

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