Tribune
Face à la prolifération des fausses informations, il devient urgent de mettre en place des garde-fous. Cela passe par la maîtrise des données, qui permettrait de s'assurer de la véracité de l'histoire qui est racontée.

Le 6 juin dernier, une proposition de loi sur les fake news était débattue en séance à l’Assemblée nationale. Dans le cadre de cette loi, il s’agit avant tout de lutter contre «la manipulation de l’information» plutôt que contre les «fausses informations». Cette distinction terminologique est symptomatique du temps qu’il aura fallu aux députés pour s’accorder sur la définition précise du terme fake news. Pourtant, ces dernières sont de plus en plus présentes dans la vie quotidienne de tout un chacun et il est urgent d’agir pour lutter contre ce fléau.

S’accorder sur une définition aurait pu être plus simple et aurait permis de gagner du temps. Ainsi, à titre d’exemple, selon Wikipédia, les fake news sont des informations délibérément fausses dont l'intention est d'induire en erreur. Il est possible d’aller plus loin en précisant qu’au-delà d’être fausses, il ne s’agit, la plupart du temps, non pas d’information mais de contenu mal sourcé ou détournant des informations véridiques. Parmi ces informations les plus virales, la phrase prononcée par Marine Le Pen lors du débat d’entre deux tours de la dernière élection présidentielle - «il y a 7 millions de chômeurs en France» - a beaucoup fait débat.

Une fois cette définition établie, il est nécessaire de mettre en place des garde-fous et de prendre le relais des professionnels de l’information. En effet, à l’instar des rubriques Checknews, qui se généralisent dans la presse, ou d’initiatives telle que la chaîne YouTube WTFake, conçue par une journaliste pour lutter contre la désinformation, ou encore une chronique quotidienne sur Europe 1, qui remet dans le contexte un chiffre mis en avant par une personnalité politique pour argumenter son propos, il est grand temps de donner aux citoyens les moyens d’appliquer avec rigueur les principes de vérification des informations. Cette éducation passe par l’apprentissage de la donnée. Place à la datalphabétisation.

Nouvelle forme d'alphabétisation

A ce jour, un trop petit nombre possède des compétences en matière de données. C’est cette mauvaise compréhension des données qui génère des difficultés à identifier les faits de la fiction. Il est essentiel que tout le monde ait la capacité d'interroger les faits et les chiffres pour obtenir la vérité et connaître la vraie histoire. Tout comme l'alphabétisation généralisée est apparue au début de la révolution industrielle, une nouvelle forme d'alphabétisation doit émerger, celle de la maîtrise des données. Le monde numérique doit évoluer d'une compétence spécialisée réservée à quelques-uns à une nécessité pour tous.

Le problème de l'illettrisme de la donnée touche toute l'Europe et sévit aussi bien dans un cadre professionnel que dans la vie personnelle. Alors que la lutte contre les fausses nouvelles semble prendre de l'ampleur, cette lutte est la responsabilité de chacun. En partie à cause de la quantité de données en constante augmentation, il est inévitable que des messages parfois erronés apparaissent ou que des conclusions unilatérales soient présentées.

Avec le pouvoir des réseaux sociaux, ces fausses informations peuvent devenir virales en peu de temps. A titre d’exemple, l’Inde est particulièrement touchée par ce phénomène. En cause, des fausses informations relayées sur le réseau social Whatsapp principalement, ayant conduit à ce jour à douze morts depuis mai 2018 à cause de lynchages.

Une compétence «citoyenne»

Si de plus en plus de personnes examinent maintenant de plus près la façon dont les données sont utilisées pour s'assurer de la véracité de l’histoire qu’on essaie de leur vendre, très peu sont entièrement équipées pour interroger et analyser les faits. Il est aussi préoccupant de constater que certaines n'ont rien changé dans la manière dont elles examinent les données par rapport à ce phénomène.

Le besoin d’éduquer est primordial pour apprendre à porter ce regard critique sur les informations qui sont présentées quotidiennement par la presse écrite, les médias audiovisuels et les médias sociaux. A cette fin, la maîtrise des données est une compétence indispensable non seulement pour lire et interpréter les bulletins d'information, les dates et les chiffres sur lesquels ces rapports sont basés, mais aussi pour savoir comment en discuter.

Au-delà d’une compétence «citoyenne» au sens large, il s’agit désormais d’une compétence professionnelle. En effet, les entreprises sont largement impactées par ce phénomène avec, en jeu, un impact sur leur réputation avec des pertes financières à la clé. D’ailleurs, 89% des Français considèrent que les rumeurs et fausses informations peuvent avoir un impact important sur la réputation d'une entreprise, selon une étude réalisée par Viavoice pour Syntec Conseil. La manipulation, et surtout la vérification des données, devient une aptitude indispensable pour tous les salariés.

L'analyse de données dans les cursus

Le fait de pouvoir exploiter convenablement l’avalanche de données à laquelle chaque individu est confronté constitue un premier pas pour distinguer le vrai du faux. Aujourd’hui, des formations et des outils permettent ce premier niveau d’analyse et de discernement. A titre d’exemple, les solutions analytiques liées aux objets connectés, qui remontent des données sur la santé ou les performances sportives, sont une bonne illustration de cette évolution et de l’appropriation générale de l’analyse des données dans la vie quotidienne.

Mais si certaines initiatives concernant la maîtrise de la donnée tendent à se mettre en place, comme des cursus qui intègrent l’enseignement d'une forme d'analyse de données ou de manipulation des données, elles sont encore trop peu nombreuses et s’adressent surtout, pour le moment, à des personnes amenées à devenir des professionnels de la donnée. Or, à l’heure où l’ensemble de la population est concerné, la capacité à mieux lire et analyser les données permettra sans doute d’avoir plus de discernement face aux fake news et sera à terme le premier rempart face à la propagation de ce type d’information. Néanmoins, le chemin risque d’être encore long.

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