Tribune
L'ouverture de la publicité à la télévision aux secteurs interdits et à la publicité segmentée, loin de sauver la télévision, ne fera que fragiliser les autres médias, radio en tête.

L’actualité des médias est riche, les grands préparatifs de la loi sur l’audiovisuel, tant attendue, sont en branle, chacun y va de ses arguments et de ses approximations. Bien sûr, la tentation est grande d’agiter l’épouvantail des GAFA pour préserver les médias traditionnels, et surtout la télévision. Bien sûr, la lutte est inéquitable entre un secteur régulé et un autre qui échappe à toute contrainte, d’impôts, de quotas… Bien sûr, les 10 dernières années ont vu toute notre économie, celle des médias traditionnels, faiblir face à la montée des pure players. Mais une constante est quasiment demeurée inchangée : le montant des revenus publicitaires.

En 2017, le total des dépenses de communication des annonceurs s’est porté à 32,6 milliards d'euros, soit un niveau inférieur au plus haut historique atteint par le marché, en 2007 (33,1 milliards d'euros). Les acteurs sont donc plus nombreux mais la taille du gâteau est restée la même, voire s’est contractée depuis le début des années 2000.

Vouloir ouvrir le système actuel (secteurs interdits et publicité segmentée) ne changera pas la taille du gâteau mais ne fera qu’accélérer les transferts de valeurs opérés depuis 10 ans. Il est illusoire de penser que de tels changements pourraient créer de la valeur au détriment d’internet. En réalité, ce n’est pas par ce biais qu’on sauvera la télévision, du reste, plutôt en bonne forme, face à internet. On ne fera que fragiliser les autres médias, sans toucher à la puissance d’internet.

Accumulation de pertes

L’étude d’impact menée par France Pub estime la perte à 576 millions d’euros pour la radio, la presse et l’affichage dès 2022, soit quasiment 20% du chiffre d’affaires publicitaires de ces médias. Ces pertes  s’accumuleraient en les privant de leur capacité d’investissement au moment où ils en auraient le plus besoin et ce, dans un marché publicitaire tendu. Pour la radio, le manque à gagner pourrait atteindre 238 millions d’euros, un tiers du chiffre d’affaires du secteur. Une exécution pure et simple quand on sait qu’en 2017, le chiffre d’affaires publicitaire de la radio était de 694 millions d’euros, selon le BUMP, en recul de -2,6%.

Et pourtant, la radio, comme la presse ou l’affichage, est en train de se métamorphoser. Le digital n’est pas subi mais utilisé comme une opportunité supplémentaire. Le marché britannique est à ce titre extrêmement éclairant : avec le DAB+ et la radio sur internet, l’écoute numérique a grandi, et la radio ne cesse de gagner des auditeurs.

A l'inverse de nombreux marchés européens, où les médias traditionnels voient leur audience et leurs revenus chuter, la radio en Angleterre a enclenché un cercle vertueux : plus de la moitié de l’écoute est numérique (50,9% au premier quadrimestre 2018, selon Rajar, dont 72,2% en DAB+), les auditeurs sont plus nombreux (près d’un million d’auditeurs en plus entre Q1 2017 et Q1 2018, soit 9 Anglais sur 10 qui écoutent la radio tous les jours contre 8 Français sur 10) et le chiffre d'affaires est en progression (+5,2% en 2017, à 679 millions de livres - 760 millions d'euros).

Saisir les opportunités

Plutôt que de chercher du profit à court terme, la télévision devrait comme nous saisir les opportunités qu’offre l’époque. Pourtant, après avoir boudé la TNT, elle est en train de laisser passer le train Netflix…

Pendant ce temps, le média radio amorce une révolution sans précédent avec le développement du DAB+, une écoute numérique qui ne cesse de progresser grâce aux efforts gigantesques de modernisation et d’appréhension digitale de notre média, et où le développement des enceintes conversationnelles représente une formidable opportunité.

Bref, la radio est un média d’avenir, qui dans un contexte où le gouvernement encourage sa modernisation, peut être en conquête. Comme la presse et l’affichage, qui repensent leur modèle, elle ne doit pas être sacrifiée à la télévision au nom d’une primauté donnée aux groupes plurimédias, au mépris de la radio, la presse, l’affichage, pour lesquels la proximité fait réellement partie du quotidien, du pluralisme et de la richesse culturelle de notre pays.

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