Tribune
Trop souvent, les entreprises restreignent l’expérience client au parcours client. En interne comme en externe, le sujet de l’expérience client doit devenir essentiel.

Difficile aujourd’hui d’éviter ce concept d’expérience client, devenu fondamental pour les entreprises dans l’acquisition de nouvelles parts de marché. Le «consom’acteur» a définitivement pris la mesure du changement d’équilibre et il le fait savoir aux marques : selon une étude Odoxa/Emakina, 64% des sondés affirment qu’une mauvaise expérience peut les mener chez la concurrence. Si des entreprises s’illustrent pour proposer une expérience client réussie, à l’image de la MAIF, distinguée au classement des meilleures expériences client, il n’existe cependant pas à ce jour de modèle décrivant une expérience client pleinement intégrée à l’ensemble de l’entreprise. Cette dernière reste désespérément (ou résolument) silotée.

Le concept d’expérience client contient, par définition même, l’ensemble des interactions du client avec sa marque, l’organisation de l’entreprise, le support. On parle ici de l’ensemble des interactions avec l’entreprise y compris dans ses aspects contractuels. Les entreprises doivent par conséquent veiller à en faire une préoccupation majeure au sein de leur stratégie et de leur organisation. Pourtant, elles redoublent d’imagination pour décliner l’expérience client au cœur de leur stratégie, à grand renfort de néo-spécialistes, des customer experience officers.

Un bon nombre d’entreprises ne tient cependant pas ses promesses. Ce décalage entre la proposition de valeur relayée par la publicité ou les campagnes sur les réseaux sociaux est parfois bien loin de l’expérience vécue par les clients, et encore plus gravement de leurs attentes. Cette situation aboutit bien souvent à des frustrations internes et à la perte de confiance des clients.

Un vrai déséquilibre

La manière dont les entreprises envisagent l’expérience client demeure bien souvent restreinte au, trop réducteur et non moins célébrissime, parcours client. Le risque est que cette expérience soit complétement biaisée. En effet, au lieu d’être intégrée, cette démarche reste limitée à des initiatives isolées, principalement à des actions de pur marketing. Le manque de coordination avec la vision stratégique du comité de direction est parfois avéré. Le résultat est un éloignement de la proposition de valeur initiale de l’entreprise. Une grande partie de ces échecs a pour principale raison un fonctionnement interne en silo.

Plus encore, les entreprises envisagent bien souvent les nouvelles technologies comme des leviers de développement d’une expérience client réussie, alors que ces dernières ne peuvent être en réalité qu’un support d’une stratégie plus globale. Un vrai déséquilibre a émergé dans les forces en présence dans cette course à l’expérience client idéale, avec d’une part, les entreprises «digital-natives», et d’autre part, les entreprises dîtes de l’économie traditionnelle, avec pour chacune d’elles des approches fondamentalement différentes. L’avantage reste à ce jour aux entreprises du numérique sans aucun doute.

Les entreprises traditionnelles doivent en conséquence revisiter leur modèle, depuis le marketing expérientiel au modèle opérationnel sous tendu par la stratégie globale de l’entreprise. C’est dans ce contexte que les recherches en sciences de gestion peuvent éclairer le monde de l’entreprise. Par exemple, Elisabeth Lefranc, dans sa thèse intitulée «Le management de l'expérience client : au-delà des enquêtes de satisfaction, la mesure de l'expérience vécue» (2014), propose un modèle qui repose sur 4 dimensions parfaitement intégrées : l’expérience voulue (formulée par les dirigeants), l’expérience proposée (mise en œuvre en interne avec des moyens opérationnels), l’expérience attendue (la manière dont les clients perçoivent l’expérience client via des actions de communication ou de marketing) et l’expérience vécue (la façon dont les clients vivent et ressentent véritablement l’expérience).

Complexité des interactions

Ces 4 dimensions mettent en relief la complexité des interactions, car chacune relève d’un pan différent de l’entreprise : les attentes et le vécu des clients mesurés par le marketing, le système d’engagement soit tous les moyens mis en œuvre par l’organisation, et enfin la stratégie. L’enjeu devient la mesure des écarts potentiels entre chacune des facettes du modèle. En ce sens, il est important de souligner que l’écart entre l’expérience attendue et l’expérience vécue est tout aussi essentiel à traiter que le clivage entre la stratégie et l’expérience proposée. Il est également vital de comprendre que pour atteindre un équilibre dans ce modèle d’expériences, il faut aller au-delà des approches traditionnelles orientées organisation ou orientées client. La cible est l’adoption d’une vision intégrée, avec pour préoccupation principale : l’expérience globale.

Les écarts émergent généralement dans l’entreprise dès la mise en œuvre des moyens et des processus opérationnels permettant de délivrer la proposition de valeur : l'expérience proposée. En effet, pour y parvenir, l’entreprise doit souvent repenser l’ensemble de ses activités et l’organisation de ses entités afin d’être en mesure de proposer cette expérience sur l’ensemble des canaux d’intégration de son système d’engagement client. Mais dans les faits, les clients subissent les ruptures inhérentes à la chaine de traitement interne de l’entreprise. L’entreprise projette en conséquence ses incohérences, voire ses dysfonctionnements impactant l’expérience vécue par ses clients.

L’enjeu de l’omnicanal reflète très bien cette réalité. Il poursuit l’objectif de rompre la perception qu’ont les clients d’une expérience fractionnée, fragmentée, loin de leurs attentes. C’est une contre-mesure intéressante des faiblesses liées au développement de la proposition de valeur de l’entreprise sur son marché.

Notion de réalité artificielle

Paradoxalement, les salariés de l’entreprise, sont, eux, bien conscients de ce décalage. La notion de réalité artificielle revient régulièrement : les salariés sont confrontés à une réalité dans laquelle l’entreprise parle d’expérience client, sans vraiment lancer d’actions adaptées sur ce sujet, créant ainsi un fossé entre les ambitions et les capacités réelles de l’organisation. Cela n’est pas sans conséquences : un quart d’entre eux ne sont pas satisfaits de l’expérience client qu’ils offrent et seuls 13% pensent que celle-ci est susceptible d’amener leurs clients à les recommander.

Beaucoup d’entreprises projettent par conséquent l’image de leurs propres dysfonctionnements internes sur leur marché. Seules les organisations apprenantes passent cette étape avec brio. Pour y parvenir, l’entreprise doit se restructurer autour du concept d'expérience client. Il s’agit alors de fédérer les énergies autour de la création de valeur et d’abattre les barrières internes. L’adoption d’un modèle d’agilité encourage l’expression des compétences molles (soft skills) de chaque collaborateur, nécessaires à la construction d’une expérience client optimale. Cela favorise les collaborations inter-départements creuset d’une expérience client complètement intégrée à l’entreprise, avec pour fédération les leviers du numérique. C’est bien sur cette dernière problématique que doivent intervenir les architectes d’entreprise encore trop rares sur le marché.

L’expérience client est un sujet essentiel de l’économie du numérique. Notre économie basée désormais sur des modèles d’abonnement, doit indubitablement compter avec des clients devenus volatiles et exigeants. En conséquence, l’entreprise doit se consacrer à conserver ses clients par le vecteur d’une expérience captive et captivante. Si nombreuses sont les marques conscientes de l’importance de l’expérience client comme levier de gain de parts de marché, rares sont les entreprises qui en font une responsabilité collective. Elles doivent pourtant aller au-delà des silos organisationnels particuliers aux modèles du 20e siècle. Il existe en effet dans les entreprises de l’économie traditionnelle une réalité artificielle à dépasser. C’est le clivage entre les ambitions de l’entreprise en matière d’expérience client et les réels bénéfices apportés à ses clients. Il est plus que capital de réduire ces écarts et de faire en sorte que l’entreprise du 21e siècle réussisse à mettre au cœur de ses priorités, la promotion d’une culture de l’expérience client sans couture.

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