Tribune
Certains considèrent encore que l’univers du luxe peut continuer à fonctionner en vase clos avec sa clientèle traditionnelle. Mais aujourd’hui, la société connaît de tels changements de valeurs qu’il serait illusoire pour les grandes marques de luxe d’en faire abstraction.

De nouveaux modes de consommation émergent, dépassant le simple achat d’un produit pour aller vers une expérience plus large. Les marques quel que soit leur secteur sont de plus en plus nombreuses à répondre à cette nouvelle attente. À l’image de marques de grande consommation qui travaillent à des plateformes de services appelées à s’intégrer dans l’usage et pas exclusivement autour du produit, les marques de luxe vont être de plus en plus confrontées à ce nouvel enjeu. Favorisés par la multiplication des points de contact, les modes de consommation comme la « sharing economy » sont le résultat de changements de valeurs profonds dans la société. Car si le digital n’a pas fondamentalement changé ces dernières années, ses effets, eux, sont désormais si massifs qu’ils impactent fortement la relation que les consommateurs entretiennent avec les marques. Ces nouveaux rapports à la consommation changent tout. Dire comme Jacques Séguéla que «si tu n’as pas de Rolex à 50 ans, tu as raté ta vie» n’a plus de sens à une époque où il est possible de louer une Rolex en ligne pour 38 euros par jour. Idem pour une robe Chanel à 2 500 euros, qui est désormais accessible sur internet pour 90 euros par jour. Des tabous tombent…

Le secteur du luxe ne peut se soustraire à ce mouvement de fond. D’ici cinq ans, un consommateur de ces produits sur deux sera un millennial. Face à l’inexorable vieillissement de la tranche des amateurs les plus aisés qui consomment le luxe de façon traditionnelle, une nouvelle génération arrive. Et, sauf changement radical, elle sera également attirée par les produits de luxe. Les marques vont donc devoir s’adapter à cette nouvelle clientèle et à son rapport à la consommation. Un changement complet d’approche s’impose car le curseur va se déplacer de la possession à l’immersion. Aujourd’hui, la valeur statutaire des produits est de moins en moins importante. On peut aussi bien porter une Rolex qu’une Apple Watch, le prix est différent mais l’impact reste sensiblement le même. S’il y a quelques années, l’aboutissement pour un quadra était de posséder une Audi ou une Mercedes, c’est peut-être aujourd’hui de prendre un Uber. Un nouveau modèle de mobilité qui lui-même d’ailleurs n’a pas attendu cinq ans pour être à son tour disrupté par les vélos et trottinettes électriques.

Passer d’un mode statutaire à une démarche expérientielle

Après un marché dominé par les marques puis par les produits, ce dernier est désormais « drivé » par l’expérience. Certes, les marques et les produits sont toujours importants, mais ce changement de paradigme impose de repenser toute la chaîne de productivité et de valeur. Du statutaire, nous voici à l’heure de l’expérientiel, de l’élitisme au différenciant, du matériel à l’humain, de la déraison à l’engagement. Dans ce basculement, la technologie n’est pas essentielle comme le montre le Gucci Garden, un site atypique inauguré en janvier 2018 à Florence et accueillant salles d’exposition, boutique et restaurant. En revanche, là où la technologie devient très importante avec la data science, l’analytics et tous les outils de personnalisation, c’est quand elle permet aux marques de résoudre un problème de positionnement en s’adressant au bon moment, au bon endroit et à la bonne personne.

Aujourd’hui, les marques de luxe ont la capacité d’atteindre la nouvelle génération sans risque de perdre leur clientèle traditionnelle. La plupart d’entre elles le font déjà sur les marchés asiatiques. Sur WeChat, le consommateur chinois peut acheter un sac Dior à plusieurs milliers de dollars en deux clics. Une démarche difficile à envisager sur une cible plus traditionnelle en Europe ou aux États-Unis où l’on attend tout l’artefact d’une cérémonie de vente. La technologie permet de faire de la personnalisation omnicanale et donc de s’adresser très différemment selon la cible visée. Aujourd’hui, une marque de luxe en Chine n’est pas du tout la même que celle que l’on connaît en Europe.

Les acteurs du luxe ont désormais moins peur de ce décalage et plus largement de la nécessité de lâcher prise. Le cas emblématique du youtubeur américain Jeffree Star qui avait découpé un sac Chanel après avoir approché sans succès la marque pour travailler avec elle est désormais derrière nous. Les marques ont compris qu’elles devaient aller chercher ces nouvelles valeurs autour de l’extravagance, du fun, de l’engagement. Là encore, le marché asiatique est sans nul doute le meilleur endroit pour tester cette nouvelle façon d’exprimer sa marque. Une voie qui répond à des évolutions profondes dépassant le seul espace de la boutique et où la narration autour du produit est différente, idéalement… expérientielle !

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