Tribune
Le 2 juillet dernier, Amazon et Conforama annonçaient l’un qu’il recrute, l’autre qu’il licencie massivement. Mais en conclure que l'e-commerce tue le retail traditionnel serait un raccourci un peu rapide.

Bien loin des niveaux atteints en Chine, où l'e-commerce représente cette année 35,3% des ventes retail, ou même aux États Unis (12,5%), les transactions en ligne comptent pour à peine 7,6% des ventes en France, avec une croissance relativement lente. Le retail physique va donc survivre. Les géants du e-commerce ont juste mis la barre très haut pour le bénéfice du client final et obligent le retail classique à se transformer, en imposant des normes : un vaste choix, une expérience d’achat fluide, un paiement facilité, une livraison rapide.

Le commerce traditionnel reste et restera dominant ; mais avec l’arrivée d’Amazon, d'eBay et d’autres, plus tard suralimentés par le mobile, à une époque où l’on achète en un clic, celui-ci doit améliorer son offre et proposer des expériences que les consommateurs ne peuvent pas obtenir en ligne. C'est le cas de la gratification immédiate, disponible chez de nombreux acteurs de la grande distribution. Chaque année, apparaissent des promotions collectors destinées au familles, les clients se voyant remettre en caisse des figurines Star Wars ou des cartes Les Minions. Les parents font le bonheur de leurs enfants, et les enseignes boostent la fréquentation et le panier moyen pendant la période, les récompenses tombant par exemple par tranches de 20 euros. Tout le monde est gagnant.

Ce sont ces actions qui incitent les clients à revenir, tout comme la carte de fidélité, qui reste une valeur sûre. Selon les données de Stocard, ses utilisateurs ont 14 cartes de fidélité en moyenne. Une étude d’Accenture a aussi déterminé que les clients d’un programme de fidélité dépensent 12% à 18% de plus que les non-membres. Parce que cela coûte moins cher de fidéliser que de recruter, cela vaut la peine pour les retailers d’y mettre les moyens et de se démarquer. L'enseigne Casino fidélise ses encartés à coup de coupons «load-to-card» à sélectionner dans leur application. Carrefour a refondu récemment son programme de fidélité, les clients pouvant désormais choisir quelle catégorie de produits sera remisée avec leur carte. La personnalisation est clé pour booster l’engagement.

Une chasse au trésor addictive

Autre dimension, les clients se déplaceront en magasin si cela leur permet de dénicher la bonne affaire qui ne sera pas disponible en ligne. Le côté chasse au trésor est puissant et addictif. La chaîne de supermarchés Lidl en est un bon exemple : 20% de chaque magasin est consacré aux Lidl Surprises, une gamme d’articles non alimentaires inattendus, tels que Monsieur Cuisine Connect, la version Lidl du Thermomix, qui a créé une ruée en magasin à sa sortie. Ces retailers, comme Stokomani ou Action, prospèrent principalement parce que leur catalogue change chaque semaine. Les acheteurs savent que ces offres à prix imbattables ne seront pas disponibles très longtemps, et achètent donc tout de suite. C’est aussi une des clés du succès de Zara ou H&M, géants de la fast fashion, qui changent la mise en place fréquemment et créent donc l’envie.

Le « retailtainment » consiste, comme son nom l’indique, à associer retail et divertissement pour améliorer l’expérience d’achat. Tout est bon pour créer du passage dans le magasin, et générer des ventes. Pour rendre le passage ludique et agréable, une animation qui sort de l’ordinaire ou un espace détente/snacking est un plus. Amazon a mis, et met encore, en péril de nombreux magasins de livres dans le monde, mais certains résistent encore et toujours, comme Barnes & Noble ou Books-A-Million aux Etats-Unis, où ils ont commencé à ouvrir des corners type Starbucks dans leurs magasins. Une expérience conviviale, qui ne peut pas être répliquée sur internet. Les clients ont tendance à rester plus longtemps dans le point de vente, et ont donc plus de chances de repartir avec un livre sous le bras.

Des vendeurs en chair et en os ainsi qu’un vrai service clientèle sont aussi des atouts que les pure-players ne peuvent typiquement pas proposer. Bien sûr, les critiques en ligne et les forums peuvent fournir aux acheteurs des informations qui les aideront à prendre une décision, mais rien ne vaut l’interaction. Aucun écran ne remplacera jamais non plus l’expérience sensorielle - s’asseoir dans un canapé moelleux, toucher le tissu d’une robe ou simplement essayer des chaussures. Il en est de même pour la présence du vendeur, qui va conseiller le client selon sa personnalité.

Des services en plus

Dans la beauté, une enseigne comme Rituals l’a bien compris : les vendeuses, telles des esthéticiennes de spa, vous servent un thé à votre entrée, vous font une démo de gommage sur la main, vous font sentir les parfums des différentes gammes. Impossible de résister, on repart avec le produit. Le magasin ici prend tout son sens. Cette société néerlandaise, fondée en 2000, affiche une réussite insolente et ouvre deux ou trois magasins par semaine. Les performances des vendeurs sont primordiales. Dans quelle mesure connaissent-ils les produits ? Peuvent-ils efficacement recommander des articles aux clients ? Peuvent-ils fournir des informations sur les produits que les acheteurs ne trouveront pas en ligne ?

Enfin, le regroupement de produits et de services dans le retail devient de plus en plus populaire, et ce pour une bonne raison : cela a du sens. Si un client achète déjà des produits dans votre magasin, il est encore mieux de pouvoir lui proposer un service annexe pendant qu’il est là. Chez Sephora, la conseillère de vente, armée de son smartphone, après vous avoir rappelé la tonalité de votre fond de teint d’après vos précédents achats, vous avoir offert des échantillons personnalisés, peut vous proposer de vous parfumer. Mais ça ne s’arrête pas là : en caisse, on vous propose de graver votre nom sur votre bouteille de parfum.

Des magasins de meubles tels qu’Ikea ont commencé à intégrer des services d’installation à domicile dans leurs offres. Pour ce faire, Ikea a acheté TaskRabbit, une plateforme qui relie les consommateurs à des fournisseurs de services capables de monter des meubles et d’installer des appareils. On peut rendre la vie de ses clients plus facile en proposant un service supplémentaire. Et s’il n’est pas possible de fournir ce service en interne, pourquoi ne pas faire appel à un partenaire ? En parallèle au commerce digital, dans un monde assez rationnel, à base d'achats planifiés, de comparateurs de prix, de lecture d’avis, le commerce physique doit nous fournir bien plus que des produits : il nous emmène vers l’inattendu, une écoute, une sensation, une inspiration, une ouverture, finalement très propices aux achats plaisir.

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