Tribune
Le projet de réforme de l'audiovisuel vient sonner le glas de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, devenue obsolète depuis l’avènement du tout numérique. Pour autant, cette nouvelle réglementation renforcera-t-elle les groupes audiovisuels pour concurrencer à armes égales les Gafa ?

À l’heure où Netflix s’octroie la possibilité d’assurer la promotion de son catalogue sans aucun frein réglementaire sur sa plateforme ou dans votre boîte mail, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le fait que les chaînes de télévision françaises ne pouvaient lutter contre l’influence et les parts de marché croissantes de ce type d’acteurs. La réforme de l'audiovisuel, qui doit être présentée en conseil des ministres fin novembre, suffira-t-elle à répondre à ces enjeux ? Rien n’est moins sûr au regard des chiffres qui parlent d’eux-mêmes.

Quand la plateforme aux 148 millions d’abonnés réalise un chiffre d’affaire près de 10 milliards de dollars au premier trimestre 2019, celui de TF1 n’atteint sur la même période « que » 1 145,2 millions d’euros… Sans pour autant creuser ce fossé, ces évolutions normatives ne pourront que partiellement le combler. Sur le fond, libéraliser le plus possible la publicité à l’écran s’apparente aux fondations de l’édifice. L’accroissement de la pression publicitaire doit ainsi pouvoir garantir davantage de revenus aux groupes audiovisuels et par la même occasion le financement de plus de programmes.

Plus encore, cette manne financière doit permettre de créer de nouveaux carrefours d’audiences répondant aux attentes des communautés les plus variées afin de s’ériger en média de puissance instantanée. Des initiatives à l’image de Salto, plateforme en ligne et sur abonnement de France Télévisions, TF1 et M6, devraient sortir de terre dès l’an prochain. Nous aurons ainsi tout loisir d’observer l’évolution de cette nouvelle arme anti-Netflix.

Des mesures pas sans danger

Parmi les dispositiions qui devraient être introduites par cette réforme, une troisième coupure au cours de la diffusion d’un film de plus de 90 minutes. Cette mesure n’impacte pas le temps de publicité à l’antenne, elle offre en revanche la possibilité de vendre plus cher des écrans publicitaires. En effet, alors qu’il n'était jusqu’à présent pas toujours possible de vendre deux pages de pub en « peak », plage horaire entre 20h et 22h aux conditions tarifaires les plus élevées, les régies pourront désormais lisser la diffusion des spots et ainsi placer avec certitude deux ou trois écrans pub en «peak».

Nous souhaitons cependant attirer l’attention sur le fait que cette nouvelle source de revenus ne doit en aucun cas se faire au détriment de l’expérience du téléspectateur, au risque de le perdre et même de renforcer le business même de Netflix et consorts. Par ailleurs, la disparition des 20 minutes d’intervalle obligatoire entre deux coupures facilite une meilleure répartition des écrans publicitaires pour conserver l’audience d’une chaîne, notamment à l’occasion de programmes courts. Cette mesure de prime abord positive n’est donc pas sans danger.

Autre mesure, alors que les chaînes de télévision pourront désormais, comme aux Etats-Unis, assurer la promotion des films au cinéma via des bandes-annonces ou des teasers, des quotas de films européens ou d’arts et d’essai devraient être institués. Pour autant, les productions américaines les mieux financièrement dotées devraient investir massivement le petit écran, et ce, au détriment de l’affichage urbain. Nous serons donc plus qu’attentifs à la bonne exploitation de ce nouveau dispositif, tout comme nous le serons avec la publicité segmentée.

Une question en suspens

En 2020, la télévision pourra certes bénéficier d'une ouverture partielle et encadrée de la publicité segmentée mais l'adressage local devrait cependant être proscrit. Concrètement, les publicités seront amenées à varier d’une ville ou d’une région à l’autre sans possibilité de mentionner d’adresse d’établissement local. Limitée à 2 minutes par heure en moyenne d’antenne quotidienne et 6 minutes par heure d’horloge donnée, cette mesure, dont l’objet vise à accroître le volume de productions ainsi que le CPM, n’a d’intérêt que pour les foyers équipés de certains types de box nouvelle génération. Enfin, une question demeure en suspens : certaines créations ne se détourneront-elles pas des normes édictées en insérant le nom d’une ville en lieu et place de l’adresse précise d’un établissement ?

Au regard de l’ensemble des mesures présentées dans le cadre de ce projet de loi, la publicité télévisée s’adaptera certes dès l’an prochain et en 2021 aux standards et aux usages des foyers français, et ce, au bénéfice des groupes audiovisuels. Ce coup de pouce sera-t-il pour autant suffisant pour offrir à ces derniers la possibilité de lutter à armes égales contre les GAFA ? Il s’agit certes là d’un point de départ pour négocier au mieux ce virage, en aucun cas d’une solution miracle. Cependant, n’oublions pas que la libéralisation de la publicité demeure prioritaire afin de générer davantage de revenus et donc de puissance aux groupes audiovisuels. Ces derniers devront alors faire preuve d’agilité et de maîtrise dans l’exécution.

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