Chronique

Le Luxe est avant tout un secteur de création. Il capte, stylise, esthétise, sublime... Par ses représentations, il participe puissamment à façonner notre imaginaire collectif. Cela lui donne un pouvoir non négligeable sur la société. La puissance médiatique des grands groupes décuple cette responsabilité. C’est sur ce terrain-là que le secteur doit aujourd’hui progresser. On l’a vu avec le porno chic, les photos retouchées, les mannequins anorexiques, représentations jugées inacceptables par une société civile plus alerte à les interpeller. Trop souvent encore, les grandes marques de luxe se cantonnent à flatter le narcissisme, l’entre-soi, à construire des territoires oniriques et hors-sol, et se coupent de leur connexion essentielle au monde.

Pourtant... Peu de pièces produites, de l’artisanat d’art, des savoir-faire ancestraux seuls capables, en cette ère d’obsolescence programmée, de transmettre aux générations futures… 

Que ce soit dans les vins et spiritueux, la beauté, la couture, ces producteurs amoureux de leurs produits se fournissent dans des écosystèmes naturels qu’ils doivent protéger pour garantir leur activité. Les maisons de luxe ont les moyens d’investir dans leurs chaînes de valeur et peuvent réellement prétendre piloter des approvisionnements responsables et garantir une production exemplaire.

Comme le reste, leurs démarches de responsabilité sociale et environnementale devraient respirer leur obsession quasi maladive de l’excellence. Quelques maisons l’ont compris et commencent à se raconter autrement. Ces nouveaux récits peuvent faire du secteur un véritable agent de transformation sociale. Il en a les moyens, les talents et, pour nombre de ses acteurs, le patrimoine de l’histoire et du temps. 

Produits « à vie » 

La maison Guerlain (avec laquelle j’ai le bonheur de travailler depuis des années) est un exemple d’intégration des enjeux de responsabilité environnementale au cœur même de son identité de marque. « Au nom de la beauté », nouvelle signature de la maison, évoque tout à la fois son rapport au monde, aux écosystèmes naturels, à la traçabilité des ingrédients pour revisiter une nouvelle approche du soin, du maquillage, du parfum, de la beauté en somme. (Ce n’est pas tout à fait un hasard si la maison s’est adjoint l’expertise de Cécile Lochard, co-auteur du seul ouvrage sur le sujet – Luxe et développement durable, la nouvelle alliance, Eyrolles 2011). D’autres maisons suivent cette même trajectoire et œuvrent à reconnecter leur offre à cette essence même : l’alliage entre des produits naturels d’exception et un savoir-faire unique. 

Quels vêtements, quels objets se transmettent, se revendent le mieux ? Quels produits rechigne-t-on le plus à jeter, à abimer, qu’un produit de luxe ? Certaines marques n’hésitent pas à garantir leurs produits « à vie ». La vie terrestre se fragilise. Or c’est elle, le trésor. Le vrai luxe, c’est l’extraordinaire valeur des ressources naturelles et des talents, encore souvent masquée à nos yeux blasés. 

Soit on enferme le luxe dans son rôle de marqueur social, pur signe extérieur de pouvoir. Soit on lui reconnaît son rapport décisif à la valeur des choses, et le potentiel crucial que cela représente à cette étape de notre histoire. Si le luxe a des progrès à faire en matière de durable, c’est sans doute de mesurer lui-même et assumer pleinement l’ampleur de son propre respect du monde. C’est d’en tirer les cohérences et les conséquences sur ses façons de faire et de communiquer. 

Le temps où le luxe regardait l’écologie de haut, comme si la pollution pouvait « salir le rêve », se termine. Puisque Lux dit en latin « lumière », faisons briller cette lumière au bout du sombre tunnel de la crise écologique dont nous voulons sortir au plus vite.

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