Tribune
Trop de marques se lancent dans l'influence en se tournant vers des célébrités, dont l'aura risque de cannibaliser leur propre message. Dans certains cas, mieux vaut se tourner vers la micro-influence et la nano-influence, gages d'une plus grande confiance.

Ils prennent la parole et fédèrent des communautés. Vrais passionnés ou professionnels de l’esthétique, les influenceurs sont suivis par des milliers, voire des millions de personnes. D’après l’Observatoire du comportement des consommateurs de 2018, 59% des 18-25 ans ont découvert un produit grâce à un influenceur ; ils sont 41% à avoir acheté, recommandé ou abandonné le produit par la suite. Le pouvoir des influenceurs semble donc réel sur les habitudes de consommation des jeunes.

Pas étonnant donc que les marques et leurs agences se précipitent vers ce (pas si) nouvel eldorado publicitaire. Côté consommateurs, ne nous leurrons plus : avec la démocratisation des partenariats entre les marques et les influenceurs, les communautés en voient de toutes les couleurs et commencent largement à prendre conscience du jeu publicitaire de leurs idoles sociales.

Côté marques, le jeu est tout à fait différent. On recherche l’influence comme un palliatif au manque d’imagination des agences publicitaires, on part chercher des influenceurs qui « parlent » à notre communauté, on cherche l’engagement à tout prix. Mais soyons honnêtes : quelle est la vraie valeur de l’engagement ? Est-ce un KPI réaliste ? Est-ce qu’une communauté qui engage s'engage avec la marque ou avec son égérie favorite ?

Transfert affectif et/ou sémantique

Les annonceurs ont besoin d’attirer l’attention et de faire parler d’eux. Les égéries, elles, améliorent potentiellement l’attractivité et la visibilité de l’annonce. Les marques espèrent surtout bénéficier d’un transfert affectif et/ou sémantique. C’est l’idée que, lorsqu’on aime une célébrité, on aime tout ce qui l’entoure et en particulier ce qu’elle défend. Alors on cherche quelqu’un pour incarner la marque, on identifie une représentation aspirationnelle de la cible que l’on souhaite toucher, on shoote, on produit, on publie et on suit le reach et l’engagement.

Malheureusement, il peut arriver que la célébrité cannibalise le message de la marque : l’attention est focalisée sur l’influenceur et l’individu exposé ne fait plus attention au produit, ni au message. C’est ce qui arrive quand une grande maison de prêt-à-porter choisit d’incarner une campagne d’envergure par Claudia Schiffer, une figure emblématique des années 90. Théoriquement, en la choisissant en tant qu’égérie, la marque estime que le grand public se fait une représentation du mode de vie de cette top-modèle, et le public a l’impression de connaitre son quotidien et peut s’identifier.

Le succès est au rendez-vous, l'engagement satisfaisant, le reach correct compte tenu de la taille de la base fan de l’égérie, tout le monde semble content. Malheureusement, lorsqu’on étudie l’impact qu’a eu la campagne sur les différentes communautés ciblées, on s’aperçoit qu’il n’y a eu aucun transfert, aucun écho. La campagne a touché à la fois le public de la marque et celui de la célébrité. Le public de la marque est resté passif face à cette nouvelle égérie, les fans de l’égérie ont vu une fois de plus leur mannequin favorite porter les vêtements d’une grande marque de prêt à porter.

Mélanger engagement et objectivité

Alors comment faire dans cette dynamique où l’ambassadeur de marque semble être devenu indispensable ? Comment le choisir pour recevoir l’engagement espéré ? L’étude Streetwear Impact Report montre que les profils de micro-influence et nano-influence ont tendance à plus engager. En effet, comme l’expliquaient Paul Lazarsfeld et Elihu Katz dans Personnal Influence dès 1940, les individus se protègent de façon mécanique de la publicité et vont suivre essentiellement les personnes en qui ils ont confiance. Ils auront tendance à suivre les leaders d’opinion spécialistes d’un sujet, ou un leader local, plus pertinent pour le marketing. Et plus ils sont proches d’eux, comme leur famille ou leurs amis, plus ils seront confiants.

On retrouve le même processus avec les petits influenceurs. Ils sont proches de leur public, ont une relation de confiance, voire amicale avec celles et ceux qui les suivent et les écoutent. «Avoir de l’influence, ce n’est pas faire du bruit, c’est parler à l’oreille des gens, c’est faire en sorte que les autres parlent comme soi», dit l'essayiste Raphaël Enthoven. L’audience ne fait pas tout, et c’est justement sur le terrain de la confiance, de la crédibilité, que cela va se jouer. Un bon influenceur va s’investir dans la durée, mélangera engagement et objectivité, avec qui la marque pourra s’investir également.

Alors oui, un bon influenceur sera plus difficile à recruter, on prendra davantage en compte la confiance qui lui est accordée par son niveau d’autorité, sa capacité de viralisation plutôt que son reach et son niveau d’engagement. Les marques et les agences doivent changer leur approche pour redonner un nouveau souffle à ce marché avant qu’il devienne impraticable.

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