Tribune
Dans trop d'organisations, la bienveillance au travail est vide d'humanité. Il est temps de lui donner tout son sens en privilégiant la force des actes et des engagements.

Avez-vous remarqué comment, en à peine deux ans, le mot «bienveillance» est entré au Panthéon des mots corporate. Il est mis à toutes les sauces. Bienveillance par ci, bienveillance par là, tout le monde est bienveillant.
Est-ce que pour autant le monde a changé ? La considération, l’écoute, l’attention portée à autrui se sont-elles proportionnellement développées en entreprise sous l’impulsion de la bienveillance ? Le management a-t-il évolué vers une prise de recul salutaire, qui ferait de la place aux différences, à l’encouragement, à l’empathie ? Est-ce que cette époque si bienveillante a changé l’horloge du temps au profit d’un temps plus humain compatible avec toutes les formes de vie prises en otage par le diktat du «tout, tout de suite» ?

Il ne faut pas réfléchir longtemps pour constater que la bienveillance est, la plupart du temps, vide d’humanité dans les organisations. Alors même qu’elle devrait se pratiquer en toute discrétion et humilité, elle s’affiche sur papier glacé, envahit les argumentaires marque employeur, les raisons d’être tant à la mode, illustre les stratégies d'onboarding et commence même à influencer les programmes de formation en management. La bienveillance, c’est comme la générosité et l’amour, il y a ceux qui en parlent beaucoup et ceux qui pratiquent vraiment en toute sincérité. En clair, il n’y a que des preuves de bienveillance.

Une entreprise, quelle que soit sa taille, qui veut se revendiquer d’une âme bienveillante doit l’assumer totalement au risque d’être clouée au pilori de la démagogie. L’assumer commence par l’exemplarité de tous les dirigeants et de tous les managers sans exception. Il suffit d’un pervers, d’un manipulateur, d’un brutal, d’un vulgaire pour que toute l’ambition s’effondre. L’assumer nécessite aussi de revisiter ses modes d’évaluation au profit du management pygmalion et de développer un leadership spirituel porteur de sens humain, qui permet à chacun de prendre place, c’est-à-dire de trouver sa place. L’assumer réclame de faire sienne l’inclusion des différences, quelles qu’elles soient, au nom d’une culture d’entreprise partagée qui unit et fédère la tribu humaine que l’on incarne. L’assumer enfin impose du courage pour savoir traiter les actes de «non-bienveillance» tels que le harcèlement, le manque de politesse et de courtoisie, le stress, le racisme ou encore toutes formes de placardisation.

Tentatives du bonheur

On a eu, pendant un temps, les tentatives du bonheur déclinées sous forme de directeurs du bonheur, garant d’une doxa de la joie de vivre en entreprise. Fort heureusement, cette mascarade a été vite démasquée. Aujourd’hui, on a la tartufferie de la bienveillance, qui fait des dégâts considérables et discrédite le monde professionnel. Contrairement au bonheur, la bienveillance est perverse car elle est acceptable partout et pour tous. Elle ne relève pas de la seule sphère intime et privée, comme le bonheur justement, mais de l’éducation, du savoir être et du savoir vivre. En clair, elle est élémentaire et fondatrice de la relation humaine.

La réalité objective de la gestion des ressources humaines impose un examen de conscience salutaire et une réflexion profonde sur la capacité des entreprises à développer des rapports bienveillants, cordiaux, nomaux tout simplement. Aujourd’hui, on bat des records de burn-out et de bore out, de stress au travail, de souffrances diverses… Cherchez l’erreur ! A force de s’appuyer sur des mots béquilles, l’entreprise finit par se vider de toutes aspérités susceptibles de venir nourrir une vraie relation de confiance avec ses parties prenantes. En clair, c'est un grand oui à la bienveillance qui se vit naturellement, sans avoir besoin de la brandir comme un passe-droit en moralité. Si l'on veut sortir des mots creux et autres discours tarte à la crème, il faut oser privilégier la force des actes et des engagements. Avis aux communicants, complices de ce cynisme ambiant : la bienveillance ne doit pas donner bonne conscience, elle est conscience de soi.

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