Mobilis in mobile

En mars 2020, nous sommes tous devenus experts d’épidémiologie, une spécialité que nous épelions avec difficulté le mois précédent. C’est dire si on peut apprendre vite et réévaluer ses priorités. L’occasion, après avoir pratiqué tout un tas d’autres nouveaux mots (gestes barrières, distanciation, confinement), de poser avec le philosophe et sociologue Bruno Latour une hypothèse hallucinante, inédite, obsessionnelle : « si tout est arrêté, tout peut être remis en cause ».

Mais commençons par le verre à moitié plein. Même les plus féroces pourfendeurs des écrans, qui détruisaient le lien social, droguaient pire que la cigarette et corrompaient les enfants, sont formels : vive Internet ! Nellie Bowles, passionaria anti-digital pour le New York Times, fait ce qui ressemble à un mea culpa et assume sa nouvelle débauche numérique : « le coronavirus a clos le débat du temps d’écran et les écrans ont gagné ». Internet, dont l’idée fondatrice est la robustesse de son réseau et sa capacité d’information et de communication, tient TOUTES ses promesses et balaye toutes nos résistances. Je n’ai même pas entendu que la consommation d’énergie qui la rend possible ait explosé dans la proportion des usages.

Optimistes mais lucides, l’autre moitié du verre à moitié plein, c’est du vide. Un vide comme un trou noir, insondable. La grande accélération dans ce marasme porte un défaut insupportable, l’amplification des inégalités. On estime à 6 ou 7% les élèves qui ont disparu des radars faute de connexion ou de soutien familial. Les économistes et les observateurs font le constat avec toute la population que c’est « la France du Smic », celle des aides-soignants, des caissières et des livreurs qui tient la baraque pendant que les cadres télétravaillent ou sont au chômage partiel avec le maintien de leur salaire.

Que devrons-nous continuer d'arrêter ?

Vide encore. Après ce grand sevrage de tout depuis bientôt un mois, ce sera à nous de décider comment le remplir. C’est l’invitation à l’ « auto-description » de Bruno Latour : que devrons-nous continuer d'arrêter ? Que voudrons-nous impérativement retrouver ? Que devrons-nous débuter passionnément ?

Et c’est là que je suis moins optimiste. Il ne faut pas que le « back to business » soit « business as usual » ou, pire encore, marque un retour en arrière. La distanciation aura des incidences insoupçonnables mais on peut d’ores et déjà anticiper des aberrations. Le refus de la promiscuité des transports en commun couplé à un prix du pétrole qui pourrait devenir négatif puisqu’on ne sait plus où le stocker, provoquera sans doute le retour de la voiture individuelle et thermique. Une compagnie aérienne comme EasyJet promet déjà dans ses communications une overdose de miles et de voyages lointains « dès que ce sera possible ».

Ce qui émerge, « mobilis immobile », nouveau nom de cette chronique confinée, ce sera donc un « nouveau raisonnable », pour nous tous, individuellement et collectivement, de nouvelles normes sociales et de nouveaux standards pour les entreprises. Une nouvelle façon d’exercer nos connaissances, nos expériences, d’appliquer les sciences et désormais les technologies (machine learning, visualisation des données, etc.)  à notre disposition. Un « nouveau raisonnable », de nouveaux standards à concevoir donc dès maintenant pour mettre à profit cette pause dans nos habitudes et ne surtout pas transiger sur nos valeurs.

C’est pourquoi, nous (1) lançons cette semaine « ReCOVery : construisons les entreprises de demain », un espace de contributions, d’échanges et de débat sur l’économie que nous souhaitons voir émerger de la crise actuelle. Nous, entreprises, qui faisons partie du système, et bénéficions pour certaines du soutien public pour se reconstruire, nous souhaitons un redémarrage juste et durable. Puisqu’il n’y aura qu’un plan de relance à l’échelle de cette crise, qu’il soit celui de LA transition.

 

(1) Fabernovel et Mirova, société de gestion pionnière de la finance durable et responsable, avec le soutien des premiers réseaux à avoir entamé leur réflexion sur la durabilité de leur modèle, comme les communautés des entreprises à mission, Finance for Tomorrow et B Corp.

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