Chronique

Voilà. Nous venons de traverser Pâques, ce passage du trépas à la vie éternelle, confinés et impuissants, en spectateurs d’un monde qui s’interrompt. Passage à vide. Entre nos murs, nous faisons l’expérience d’un espace qui se réduit et d’un temps qui s’allonge. Nous voici tenus, contraints et forcés, de sortir du présentisme et du mouvement permanent, tenus de demeurer en repos, dans une chambre. Temps mort.

Rien ne semblait pourtant apte à enrayer notre fascination pour la vitesse tant cet objet fantasmagorique de puissance et de modernité impacte tous les champs de nos vies politique, économique et sociale. Tout au long du siècle précédent, la vitesse s’est invitée dans nos imaginaires et nos environnements. L’anthropocène, c’est l’âge du streamline, des carrosseries rutilantes et du coefficient de pénétration dans l’air. L’irruption fulgurante d’internet dans nos existences a hissé le temps de réaction au rang des valeurs cardinales. Avec Google, le temps s’est encore rétréci. L’instantané s’est érigé en norme, en pré requis du service et de l’efficacité. Le numérique a aboli l’attente. Nous sommes entrés dans l’ère du claquement de doigts. De Rio à Tokyo, de Paris à Sydney, je veux, je clique, je consomme en moins de 48, 24, 4 heures… 

Du monde tel qu’il est, le marketing et la publicité ont fait un Jardin d’Eden où tout est désirable, où rien n’est différable. Il suffit de tendre la main. Amazon Go ! De fait, nos métiers servent un modèle idéalisé selon des critères court-termistes, instantanés, jetables. Et pour les exercer, nous avons fait de la réactivité de nos agences, de notre capacité de rebond instantané, de notre disponibilité de tous les instants de véritables arguments de compétence. Nous avons modifié nos organisations pour répondre encore plus vite aux demandes de nos clients. Nous avons renvoyé la patience au terminal des laborieux. 3G, 4G, 5G… Hyperloop… Plus vite, chauffeur !

Hypnose collective

À l’issue de cette pause qui, par force, fait l’éloge de la lenteur, il faudra réfléchir en quoi nos métiers seront contributifs aux temps qui viennent. D’aucuns disent qu’il ne faut pas tenter de décélérer mais accélérer encore. C’est ce qu’écrivent Srnicek Nick et Williams Alex dans le Manifeste accélérationniste. Les auteurs défendent l’idée que nous avançons peut-être à grande vitesse, mais seulement à l’intérieur d’un ensemble strictement défini de paramètres capitalistes. Ils entraînent toujours davantage de dislocations sociales et de techno-gadgets consuméristes, nous placent sous hypnose collective et nous mènent à une orthodoxie du bonheur en occultant le mur vers lequel nous fonçons en chantant à tue-tête…

Ils font le pari qu’il faudrait aller plus vite encore en innovations dès lors qu’elles s’alignent avec le politique et notre aspiration à nous gouverner nous-mêmes. Il y aurait donc urgence, selon eux, à écraser à fond la pédale d’accélérateur : politique, technologique, scientifique, économique et écologique. Pour sortir par le haut et par l’humanisme de la crise du dérèglement climatique, conséquence dramatique de tous les autres : accélérer pour mieux ralentir.

D’autres, à l’opposé, de Pierre Rabhi à Paul Virilio, soutiennent qu’il faut prendre le temps pour mieux rebondir. Impatients ou patients, tous s’accordent sur l’urgence de la reprise en main d’une machine qui s’est emballée.  

Nous aurons vingt fois sur le métier à remettre notre ouvrage, nous aurons beaucoup à faire et à raconter pour changer les modes de représentation qui se sont imposés, à quitter les clichés normatifs. Il faudra d’autres concepts, d’autres mots, d’autres images si nous voulons que la communication, au lieu de conforter les situations acquises, d’entretenir la stabilité d’un système qui s’abîme, demeure en avant et prenne sa part à la description de nouveaux référentiels. Mais comme le temps presse, nous prendrons celui du recul et de la réflexion. Et, très vite, nous nous hâterons avec lenteur. La vitesse, c’est dépassé !

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