Chronique

Chaque crise révèle un puissant besoin de vérité. La crise nécessite des décisions, des arbitrages douloureux. Elle oblige à des paris sur sa durée, ses conséquences en chaîne, les scénarios de sa sortie. Alors que, partout, les systèmes politiques représentatifs ont vu leur crédit de confiance s’éroder, la crise met nos sociétés et leurs gouvernants au pied du mur.

L’information a toujours été le nerf des guerres. Napoléon masqua le nombre de morts dans sa campagne de Russie et finit par interdire le retour des corps aux familles : trop déprimant pour les citoyens à l’arrière. La Première Guerre mondiale a généralisé, pour raison d’État, la censure et la propagande.

Pendant la guerre du Golfe, les Américains ajoutèrent aux fausses informations la sémantique édulcorée de « frappes chirurgicales ». Tous les conflits ont été l’occasion de manipulations de l’opinion et notre inconscient collectif en conserve les stigmates. 

La crise sanitaire a vu émerger une stratégie de communication basée sur la vérité. Nos dirigeants (et leurs conseils) ont essayé d’asseoir leur communication sur LA vérité. Une vérité scientifique, rationnelle, forcément incontestable. Ce discours, usant de la répétition du « je ne sais pas », « nous ne savons pas » comme gage de sincérité pour des politiques jusqu’ici omniscients, s’est fracassé sur une opinion avide de boucs émissaires, de complots et de dénonciations.

En écho, a proliféré le contre-discours du « on nous ment », « on nous cache des choses », « les médias sont complices », bref du « cause toujours » ...

Je me souviens que dans mon intervention à TedX Paris en 2010, je souriais de cette réaction à la campagne de communication publique sur la grippe H1N1. Les Français, déjà, doutaient de la décision gouvernementale et avaient trainé les pieds pour aller se faire vacciner.

Émetteurs déconsidérés

Alors comment imaginer notre métier de communicant quand la défiance est à un tel niveau ? Les émetteurs sont déconsidérés, les médias jugés suspects au mieux, complices au pire. Leurs initiatives louables de fact-checking semblent nourrir le sentiment de collusion. Comment sortir de ce cercle infernal ?

Comment faire avec ce kaléidoscope de vérités ? 

La pièce géniale de Luigi Pirandello (écrite en 1917, tiens, tiens !) « À chacun sa vérité » plongeait son public dans l’abîme. En trois actes, dans le même décor d’un salon bourgeois, trois protagonistes d’une même famille venaient, tour à tour, raconter leur vérité d’un même drame familial. Chaque vérité ne pouvait qu’être crue : ardente, sincère, bouleversante. 

Et si vérité se nichait dans une somme de vérités ? C’est tout le sens des « grands récits » que les sociologues définissent par la multitude de « petits récits » individuels qu’ils agrègent – sans quoi ils n’ont rien de grands ! – et que nous travaillons pour nos clients. Ça parle de choses vraies, riches, sensibles, moins simplistes qu’un slogan.

Les marques et les entreprises doivent accepter ce changement d’époque. Soit elles choisissent une communication de l’instant, de l’émotion et surfent sur l’écume au gré du vent, soit elles partagent leurs convictions, expriment leurs doutes, acceptent la controverse en évitant la condescendance.

Oser parler sans affirmer catégoriquement, pour une marque, quel changement de pied. S’exprimer non pour convaincre mais pour partager. Être prêt à accepter les attaques, les condamnations, quelle intéressante évolution de posture !

Marshall Rosenberg, le père de la communication non violente, écrivait cette sentence affreuse et délicieuse : « Dans notre vie, on a le choix entre être heureux et avoir raison ».

Est-ce que j’ai raison quand j’écris tout cela ici ? Je ne sais pas. Mais j’avais vraiment envie de le partager avec vous.

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