Chronique

Quand j’étais enfant, avant que nous ne soyons tous équipés de téléphones portables, on moquait ma mère qui parlait de plus en plus fort proportionnellement à la distance de ses interlocuteurs « au bout de la ligne ». Le numérique a rendu les télécommunications binaires, ça marche ou ça ne marche pas. La première question qu’on pose désormais c’est « t’es où ? » parce qu’on ne peut plus le deviner. Avant, quand Buzz Aldrin vous appelait de la Lune, vous saviez qu’il n’était pas dans la pièce d’à côté.

Une façon de vous avouer ma déception la semaine dernière quand j’entendais Thomas Pesquet chroniquer à la radio depuis l’espace. On l’entendait mieux que les journalistes. Rien à voir avec ce souvenir, ces films, la mythologie de Houston à Apollo… Non, Thomas Pesquet dans la station spatiale internationale, vous l’entendez mieux que votre maman à Saint-Maur-des-Fossés ou votre collègue sur Zoom. Il est là, clair et détendu, il n’est pas beaucoup plus confiné que vous et moi, il a le télétravail le plus sexy au monde et c’est même le chef étoilé Thierry Marx qui lui prépare ses repas quand vous n’en pouvez plus de répéter vos quatre mêmes recettes depuis 15 mois.

Le mieux confiné des Français fait oublier les millions de litres de carburants consommés pour le vol orbital, tout est pensé, jusqu’aux emballages comestibles pour ne pas polluer. Emmené par Elon Musk d’abord en Tesla électrique puis dans sa navette SpaceX recyclable, sublimé par une combinaison conçue par les studios qui donnent vie aux super-héros Marvel, notre héros national joue dans une superproduction américaine.

Thomas, de quel futur es-tu le prénom à un moment où nous avons tellement besoin d’espoir et de modèle ? 

Un futur sans publicité ? Alors qu’on communique tellement bien, partout et tout le temps, que le placement produit est de tous les défis, le procès de la publicité s’intensifie. Elle serait même à l’origine de tous les fléaux de l’époque : la consommation sans limite qui pollue, des fonds des océans aux sommets de l’Everest, les outrages subis par nos belles démocraties, manipulation, harcèlement, infox, flicage… puisqu’elle est LE modèle économique des plateformes, elle est la racine du mal. D’ailleurs, Apple et Google ont décidé de siffler la fin de la réc(ré)lame et de fermer avantageusement la porte derrière elles.

Un futur dont Elon Musk est le seul héros ? C’est lui qui décide du cours du bitcoin comme de la conquête de Mars, de la téléportation entre San Francisco et Los Angeles et, sans concertation, de la construction des plus grandes usines en Europe. Le héros, c’est lui plutôt que le scientifique, l’astronaute, ou même les stars de Netflix. Musk est le patron du futur, non pas qu’il soit l’archétype du dirigeant à l’avenir mais bien qu’il donne ses ordres et façonne nos vies pour les décennies à venir.

Quel embranchement avons-nous raté pour confier notre autopilote à ce drôle de bonhomme, ce richissime mégalo ? On s’est fait avoir par le mantra mille fois répété de son ancêtre inventeur-entrepreneur Thomas Edison : « une vision sans exécution est une hallucination ». On « exécute », on « fix des problèmes », on crée des entreprises, on « adresse des marchés », on « lève des tours de financement »... Et si Musk et SpaceX remplacent la Nasa, en France, Stanislas Niox-Château et Doctolib auront été nos héros en France contre la pandémie plutôt que l’Institut Pasteur.

Que les entrepreneurs entreprennent à plein régime, partout sur terre et jusque dans l’espace, est une des meilleures raisons d’espérer de notre époque. Mais ils ne suffiront pas.

Tout simplement parce que malgré la phrase de Thomas Edison, nous n’avons pas seulement besoin d’exécution et d’éviter l’hallucination. Le monde a besoin de création et de créateurs qui ne sont pas tous des entrepreneurs. Susciter un désir pour l’avenir, ce n’est pas seulement s’attaquer à tous les problèmes d’aujourd’hui les uns derrière les autres, il s’agit aussi de penser au reste, voir plus loin, regarder ailleurs et plus haut, au-delà de l’ISS si proche, « to infinity and beyond », dirait Buzz l’éclair…

C’est le rôle des artistes et des créateurs, muselés, empêchés, depuis des mois. Faute de repères et puisque Elon Musk-qui-sait-tout ne s’intéresse pas aux arts, on s’en remet aux analogies avec les années 1920 d’après la grippe espagnole, 1950 d’après-guerre, 1970 de libération de la société… que seront nos années 2020 ?

Il est temps que l’insouciance revienne et ceux qui créent, ceux qui le font savoir, aussi, avec la réponse.

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