Ça y est, nous y sommes. La convergence des crises – financière, économique, environnementale, institutionnelle et religieuse, du temps réel, de notre besoin pulsionnel d'ubiquité et de notre frénésie à vouloir croire en la croissance – nous réveille en plein rêve: l'ère du consumérisme se meurt. Allons! Professionnels de la communication, indispensables acteurs de la croissance, réfléchissons et adaptons-nous à la société du réel, celle du consommateur responsable, entré en dissidence du consumérisme.

Les actes de rébellion ne manquent pas. Pour preuve, ces actes isolés, qui sont autant de signes à prendre en compte. Prenons le plus lambda des consommateurs. Celui-ci va cumuler nombre de comportements dissidents. Mais, laissons-lui la parole, elle est édifiante.

«Ma pizzeria préférée décide de travaux d'envergure et ferme pendant trois semaines. Mais, on ne peut se passer de pizza! Je pars donc en quête d'une nouvelle pizzeria sachant me mettre en appétit. Je découvre une nouvelle enseigne qui pose devant moi une pizza extraordinaire, authentique… C'est dit: je troque de toque. Moralité: à vouloir changer, ma pizzeria favorite a perdu définitivement ma clientèle.» «Par ailleurs, j'ai pris l'habitude de faire mes courses chez Carrefour. Je m'y repère bien, retrouve mes marques préférées. Mais, dernièrement, ma marque de chocolat a disparu des rayons. “Ah oui, elle est déréférencée”, m'explique, rayonnant, le chef de rayon. De rage, j'abandonne Carrefour pour son principal concurrent et retrouve ma tablette… moins chère.» «Client depuis des années d'une banque (qui a fait scandale en 2009), je me vois pris au filet de son programme de fidélisation (le mot peut faire rire) qui me propose toute une gamme de cadeaux les plus mirobolants. Finalement, je me résous à mener une sélection et reçois une semaine plus tard mes récompenses… Beurk ! Ils se moquent de moi! Je change de banque.» «Par ailleurs, je m'adonne depuis des années aux vols en magasin… mais avec une morale: uniquement dans les hypers! Et, depuis peu, je participe aux commandos “freegans” parisiens, pire, j'envisage les actions “Food not bombs” pour vivre mon an 01 à moi.»

La résistance au changement est normale. Elle a toujours existé. Cependant, jamais dans l'histoire de l'humanité, une société n'aura subi autant de changements en un temps aussi court: deux cents ans tout au plus, avec une accélération fulgurante ces cinquante dernières années.

D'un côté, Platon affirme: «Il n'y a rien de plus périlleux que le changement, dans toutes espèces, de saisons, dans les vents, dans le régime du corps et dans les mœurs de l'âme.» D'un autre côté, Karl Popper analyse Héraclite qui déclare: «Toute chose s'écoule. Rien n'est au repos. Et toute chose se dirige vers son contraire.»

Cette lutte individuelle que mène le consommateur est une quête absolue de singularité face à la masse, preuve des limites du CRM [gestion de la relation client], qui ne parvient pas à établir une relation durable avec sa cible. Cette nouvelle génération de consommateurs marque l'avènement d'une nouvelle ère: la décroissance. Cette mouvance s'est épanouie par l'exhortation à assouvir toutes les pulsions et par la stimulation à consommer toujours plus, menées par les programmes télévisés depuis dix ans.

Relisons Bernard Stiegler dans La Télécratie contre la démocratie pour nous en convaincre: à stimuler les pulsions plutôt que les désirs, la télécratie a réveillé les instincts primates des téléspectateurs, les mutant en «Thémroc»(1).

Puis relisons Platon: «Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque, finalement, les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus, au-dessus d'eux, l'autorité de rien et de personne, alors, c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie.»

Comment le marketing va-t-il intégrer la décroissance? Il est temps qu'il fasse sa révolution. En a-t-il les moyens? Même s'il a amorcé une première démarche tendant à «consommer moins, consommer mieux», cela reste bien timide. L'éthique n'était pour lui qu'une mode fugace… Il n'était pas question de sauver la planète plus que de raison… Comment toutes les marques vont-elles intégrer cette nouvelle donne du comportement «Themroc»? Le marketing serait-il lui aussi victime de la résistance au changement?

Nous sommes devant un effet de dominos: la communication est une conséquence du marketing, lui-même conséquence d'un système qui tend au «toujours-plus». Sauf à mener une révolution culturelle mondiale, dans tous les domaines de la société – économique, sociale et environnementale –, nous ne pourrons sortir de ce cercle vicieux.

Et si le marketing commençait la révolution en s'autodisciplinant ? Il pourrait, par exemple, inscrire dans ses recommandations la mention: «Pour votre santé, évitez de grignoter, entre les repas, le cerveau des consommateurs.» Finalement, il s'agit là d'une question d'éthique. À ce propos, nous aurions découvert récemment que l'éthique n'était pas le fruit d'une relation sociale chez l'homme, mais était inscrite… dans ses gènes. Zen!

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