Une fascinante « artisanatmania» est en train de s'emparer de la plupart des marques de luxe : des top models de Louis Vuitton prenant la pose de la couseuse ou du malletier jusqu'aux images d'archives de Gucci pour sa campagne « Forever Now », en passant par l'escouade de « nez » de la maison Nespresso nous conseillant de leur faire confiance plutôt qu'à George Clooney quand il s'agit de goût. Même les lignes de soins et cosmétiques des marques de haute couture rivalisent dans la découverte scientifique.

 

À quoi d'autre faut-il s'attendre ? Ralph Lauren nous faisant une démonstration de la qualité des rivets et des coutures faites main de ses jeans, comme le fit et faillit bien en mourir Levi's à une époque, oubliant ce que l'ancien vendeur de Brooks Brothers, lui, n'oublie jamais : nous faire accéder au rêve américain sous toutes ses formes, l'aristocratisme de la Côte est, le glamour d'Hollywood ou la virilité du Grand Ouest ?

 

Et Moncler nous montrant par le menu le rigoureux processus de sélection, dépoussiérage, lavage, désinfection, rinçage et séchage du duvet qui remplit ses fameuses doudounes plutôt que de nous emplir l'hémisphère droit de son esprit de conquête des hauts sommets ? Savile Row, Purdey, Charvet, Yquem, La Prairie et surtout Hermès ont dû tomber de leur chaise en découvrant ce rush moutonnier vers la nouvelle dernière martingale publicitaire des grands de ce que l'on nommait hier le bling-bling : le grand « savoir-faire », du « savoirbagage » ou « savoir-chaussure » au « savoir-café » et « savoirbeauté », etc. La recette traditionnelle de « la preuve à l'appui » des lessiviers appliquée au marché du rêve !

 

Tout comme elles avançaient ces quinze dernières années dans la mauvaise direction, dans ce qui ressemblait beaucoup à une course folle vers leur « fashionisation », le disponible plutôt que l'inaccessible, l'accumulation plutôt que la sélection, le trendy plutôt que l'éternel, l'ostentation plutôt que l'appréciation, la dépense plutôt que l'investissement,les marques de luxe sont-elles maintenant dans la bonne direction mais... en marche arrière ? Ce retour au passé ne semble pas des plus judicieux dans un monde qui continue à aller de l'avant.

 

Les péchés sont « out » et les vertus « in », et ceci est certainement la bonne direction. Une véritable conscience des enjeux a émergé, particulièrement de ce non-sens qui fut de considérer les ressources de la nature comme inépuisables, sans considération pour les générations futures, comme si nous avions hérité de la planète de nos parents alors que, comme l'a écrit un jour si justement Antoine de Saint-Exupéry, « nous ne faisons qu'emprunter la Terre à nos enfants », mais aussi dans une certaine mesure du fait qu'exhiber son « cash » n'est pas des plus élégants dans une société qui réclame plus de tempérance si elle ne veut pas terminer dans un grand crash social.

 

Si le monde du luxe est structuré et doit s'appréhender à partir du croisement de deux axes, celui du savoir-faire qui définit la valeur que nous accordons à ses produits, et celui du savoir-vivre qui définit la valeur que ses marques nous confèrent, de grandes évolutions doivent être prises en compte s'il s'agit de parfaire son positionnement ou de se repositionner pour l'avenir.

 

La définition du savoir-faire a connu un profond changement, de ce qui fut à l'origine la vénération d'un travail méticuleux à celle d'un acte de création, de l'objet travaillé à l'objet imaginé. Beaucoup plus cruciale est celle du savoir-vivre, qui a été totalement révolutionnée, le monde ne cessant de se libérer d'une structure sociale cloisonnée et statique pour devenir une société ouverte et mobile, passant du principe d'organisation pyramidale à la « flat organization » et de celui de l'obéissance hiérarchique ou du savoir-se taire à celui de la liberté d'expression. Bref, d'une époque d'oppression à l'ère de l'émancipation, surtout pour les femmes et la jeunesse.

 

Steve Jobs l'a certainement mieux compris que quiconque et avant tout le monde, Appledémontrant un peu plus chaqueannée, à chaque lancement de nouveau produit, qu'il ne s'agit plus de faire mais de penser, de travailler mais de s'épanouir et même se divertir, concevant ses machines comme des jouets.

 

Des jouets coûteux ! Cette marque n'est-elle pas en fait l'incarnation du luxe du XXIe siècle ? Tous ses produits sont directement inspirés de sa vision de l'évolution du monde : « 1984 ne sera pas comme 1984 », avait-il annoncé... dès 1984 ! « Ce qui compte, ce n'est pas le nombre de mégabits, ce sont les idées », avait-il ajouté. Comme Giuseppe de Lampedusa l'avait fait dire au prince de Salina dans son prémonitoire livre Le Guépard, « il faut que tout change pour que rien ne change » !

 

Et ce qui doit changer, c'est de ne pas faire marche arrière dans un monde qui va de l'avant, ne pas rassurer sur la qualité des souliers quand ce qui importe c'est la beauté de la démarche, ou son sens. Les prochaines grandes idées de positionnement dans le monde du luxe ne seront pas dans le savoir-faire mais dans le savoir-vivre, le savoir-être, non pas ce que l'on peut acheter mais ce que l'on peut acquérir.

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