Medias
53% des Français estiment que les médias jouent un rôle important mais pas essentiel pour la démocratie.

«Affaire Woerth: l'Élysée a violé la loi sur le secret des sources des journalistes». En mettant en une, le 14 septembre, sa contre-attaque contre les écoutes dont a été victime l'une de ses sources, David Sénat, suite à la publication de procès-verbaux d'audition dans l'affaire Woerth-Bettencourt, Le Monde a-t-il emporté le soutien de l'opinion? Sans doute si l'on s'en tient aux élans de confraternité qu'a suscités cette affaire de la part de Reporters sans frontières ou du Syndicat national des journalistes, qui ont tous deux annoncé qu'ils se joignaient à la plainte contre X que le quotidien a déposé le 20 septembre.

Pourtant, au-delà de la profession, la violation de la loi du 4 janvier 2010 sur la protection des sources peine à mobiliser. Bruno Jeambart, directeur général adjoint d'Opinion Way, signale que la circulaire du cabinet d'Hortefeux sur les démantèlements des camps de Roms a été un sujet dont les Français ont deux fois plus parlé, si l'on en croit son baromètre d'opinion. «Le risque est que cette histoire soit vue comme une polémique corporatiste, qui ne concerne que les conditions du métier de journaliste», souligne-t-il. Sur Lepoint.fr, un lecteur, Pado, renvoie ainsi la profession à ses contradictions: «Le Monde se plaint de la violation du secret des sources des journalistes. OK, mais qu'en est-il de la violation quotidienne du secret de l'instruction par ces mêmes journalistes? Y a-t-il des violations sans importance et d'autres inadmissibles?»

Pas de sujet tabou

Pourtant, un lecteur du Monde.fr ne manque pas de pointer, de son côté, les incohérences du pouvoir: «La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) confirme une enquête sur les sources du Monde dans l'affaire Bettencourt. Le même jour, l'Elysée a démenti.» David Desgouilles, blogueur associé de Marianne 2, va plus loin en s'étonnant que «l'État mobilise la fine fleur de notre police sur de telles histoires» alors même que Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, annonce que nous sommes menacés d'attentats terroristes.

Quant à Rue 89, il sait se montrer caustique en estimant que «la taupe du Figaro peut dormir tranquille»: ce journal n'avait-il pas publié sur son site, le 8 juillet, un morceau choisi de l'audition de la comptable Claire Tibout? «Sans suite, apparemment, note le site. Est-ce parce que Claude Guéant est cité comme source probable du quotidien?»

Un sondage Ethic-Opinion Way, effectué du 8 au 10 septembre, tend à relativiser le rôle des médias, jugé «important mais pas essentiel par 53% des Français», même si 54% estiment que l'action des politiques est déterminée par eux. À noter: la presse en ligne est considérée comme aussi fiable que la presse écrite (à 63%). Selon Bruno Jeambart, l'opinion estime qu'il n'y a pas de sujet tabou pour les médias: ils doivent s'intéresser à tout mais pas n'importe comment.

La médiatrice du Monde, Véronique Maurus, signale d'ailleurs dans son article du week-end dernier que depuis l'affaire Alègre de 2003, où Dominique Baudis avait été été diffamé sur la foi d'un PV de gendarmerie, «le quotidien a pour règle absolue de croiser les sources: il n'y a pas un informateur mais plusieurs». De quoi étoffer la plainte contre X pour violation du secret des sources dans l'affaire Woerth-Bettencourt que les avocats du Monde ont déposée lundi 20 septembre auprès du parquet de Paris.

 

«Le contexte est mauvais»

 

Bruno Jeambart, directeur général adjoint d'Opinion Way

 

«Une polémique sur l'écoute d'une source du Monde n'a pas beaucoup d'impact sur l'opinion. C'est une affaire complexe et difficilement compréhensible. Isolément, elle préoccupe davantage les journalistes que les Français. D'autant que l'opinion est confrontée à deux types de morales: il est peut-être malsain d'écouter une source journalistique, mais il peut être jugé choquant que quelqu'un qui travaille pour un gouvernement trahisse. En revanche, la polémique s'inscrit dans un climat général mauvais: la succession d'affaires depuis les cigares de Christian Blanc payés aux frais du contribuable jusqu'à la décoration remise au gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt par Éric Woerth. Les scandales les plus simples sont ceux qui ont le plus d'impact.»

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