Partout, on lit que l'émergence du Web 2.0 signe la fin d'un monde pour ceux qui détenaient un pouvoir, une autorité, se sentaient légitimement «en haut». Et, pour une fois, on est content de dire la même chose que tout le monde: le monopole du sens est aboli. Tant mieux. Mais cette joie consensuelle ne dure pas, car c'est ici que tout se complique.

Il est banal de dire qu'à l'âge du Web, le sens vient de partout, chacun peut en produire et le faire partager sans le faire sanctifier comme publiable. Mais a-t-on pris la mesure de ce changement? Si nous sommes tous imprégnés de «l'esprit d'Internet » décrit par Dominique Cardon dans son livre La Démocratie Internet, c'est dans une société vraiment nouvelle que nous vivons sans le savoir: «C'est dans les années 1980 qu'émergent les premières “communautés virtuelles” de l'Internet (…) comme un refuge pour les orphelins des communautés hippies (...)(1) Une société profondément libertaire, faisant son mai 68 tous les jours, dans laquelle prennent vie ces slogans passés: «Parlez à vos voisins», «La hiérarchie, c'est comme les étagères, plus c'est haut et moins ça sert.» Une société hippie, en somme.

Mais quid de l'entreprise dans une société hippie, centrée sur «l'auto-organisation et le refus des contraintes collectives» (2)? Comment manager et convaincre ceux qui répondent «les deux» à leurs aînés, qui écrivaient sur les murs: «Etes-vous des consommateurs ou des participants?»? Car certaines choses ne peuvent changer, malgré la révolution Web. Décider une stratégie de communication, de marketing et bien sûr d'innovation… Comment faire, à l'époque du matriciel et de la société hippie, sans apparaître comme les tenants d'un ordre ancien?

Faire la révolution? Non, inventer une troisième voie, moins romantique qu'un grand soir 2.0, mais plus pragmatique. Celle d'un compromis acceptable entre la volonté d'un nouvel ordre social et managérial et la sauvegarde d'une entreprise efficace. Un compromis incarnant un nouveau leadership, qui donne aux publics envie de suivre l'entreprise parce qu'elle réussit à agir et à parler différemment. Parce qu'elle appartient, comme eux, à la génération β [bêta].

La génération β, c'est cette génération de consommateurs, de citoyens, de salariés et d'entreprises pour qui la performance n'est rien si elle n'est pas collective, pour qui le pouvoir économique ne vaut que s'il sait se mettre au service de tous, sait se montrer capable d'incarner dans la sphère marchande un véritable projet commun, une utilité collective qui dépasse la notion d'utilité publique. Comme le font déjà ces entreprises qui inspirent confiance aux Français (3): développement durable avec Veolia, mobilité de demain avec Renault, plaisir de consommer avec Carrefour, confort pour tous avec Ikea, accès au sport avec Décathlon… Des entreprises qui se battent pour quelque chose de plus grand qu'elles et représentent plus qu'une expertise ou un bénéfice consommateur. Le bien en «open source», c'est ce qui unit ces entreprises qui échappent au désamour pour forger une relation plus riche avec les Français, à l'heure de ce Web 2.0 qui fait de la transparence un fait.

La génération β, c'est cette génération d'entreprises qui osent partager le futur. Accepter que les publics aient leur mot à dire dans la production de leur discours. Associer les plus impliqués d'entre eux à ce qu'elles inventent: innovation produit, utilisation des nouvelles technologies, etc., comme Microsoft le fait depuis des années. Soixante-dix-sept pour cent des salariés considéraient en décembre 2009 (4) que l'entreprise manquait à ses devoirs dans la crise? Et alors? S'ils sont suffisamment à penser qu'aider les entreprises vaut le coup: «J'ai déjà donné des idées, je vais essayer d'en trouver d'autres. (...) J'espère ne pas avoir trop fait de hors sujet.»(5) La génération β des entreprises, c'est celle qui saura leur faire confiance.

La crise a secoué notre monde. Rassurez-vous, ce n'était rien. Rien, par rapport aux changements d'habitudes et d'outils qu'il va falloir que nous décidions d'accomplir. Car faire partie de la génération β, c'est se mettre à construire du sens différemment, ensemble. Avec d'autres instruments de recherche et de communication, quelquefois les mêmes, de plus en plus les mêmes.

Construire les plates-formes collaboratives qui permettent au corps social de donner le meilleur de lui-même en termes d'idées, de propositions, de témoignages, mais aussi d'exprimer le plus dur: critiques, vérités et coups de gueule… Faire l'effort d'un leadership sincère. Valoriser l'idée d'inachèvement, solliciter les publics non pour «valider», mais pour parachever un produit, un discours, une idée. Non pas abandonner la décision au consommateur, au salarié, à l'opinion, la troisième voie n'est pas la chienlit. Ce sera toujours aux communicants d'être créatifs et aux managers de manager. Mais plus d'avoir seuls les idées qui tuent, de mettre au point seuls le produit parfait, d'ignorer des producteurs de contenu qui ont pris la parole.

La génération β, c'est celle qui apprend à partager le pouvoir, via de nouveaux outils collaboratifs, au premier rang desquels le planning collaboratif comme dernier avatar du planning inventé il y a quarante ans par Stanley Pollitt. Qui apprend à partager la créativité. À faire l'effort d'un leadership modeste.

Renouveler, enfin, la notion d'expérience de marque en proposant une expérience d'entreprise qui permette à chacun de saisir la réalité de ses enjeux et d'apporter sa pierre à l'édifice dans la production d'un «corporate content» non plus consensuel, mais apte à rallier autour d'un engagement. À répondre à la question «Pourquoi y a-t-il l'entreprise et pas plutôt rien?», à démontrer qu'elle peut aider chacun à maîtriser un monde toujours plus complexe. À réapprendre à apprécier l'entreprise. Et demain, peut-être, à rêver avec elle.

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