Il est temps de définir clairement ce qu'est la réputation, à l'heure où la bulle de l'e-réputation fait oublier à tous, agences comme annonceurs, quelques repères fondamentaux de la communication. Certes, le digital change en profondeur l'écosystème des entreprises et leurs relations avec leurs publics. Le rideau est tombé, la réalité des entreprises est accessible par tous, partout et à tout moment. Mises à nu, interpellées, elles sentent s'échapper les leviers et relais traditionnels de leur pouvoir d'influence.

Ainsi, le digital, en rendant visible des discussions qui relevaient du cercle privé et en ouvrant l'accès à toutes les réalités de l'entreprise, a étendu le concept historique de réputation au grand public. Faut-il pour autant inventer un nouveau concept? Sans doute pas, en particulier quand l'absence de définition claire de ce que serait l'e-réputation fait de cette discipline un fourre-tout commode pour ceux qui entendent l'exploiter au dépens des marques. Pour ces nouveaux enchanteurs, l'e-réputation est une agrégation de l'ensemble des opinions émises par les internautes sur la marque ou l'entreprise. Le problème, c'est que cette définition n'offre aucun critère de tri ou d'analyse. On voit bien la limite de cette vision: tout est important, donc rien ne l'est.

Pour établir ce qu'est la réputation et son extension digitale, il faut revenir à la notion de réputation telle qu'elle apparut dans les années 1990. Il y a vingt ans, l'idée était largement liée au développement de la communication financière et à la nécessité pour les entreprises de convaincre les spécialistes financiers en mesure de faire ou défaire la valeur boursière d'une entreprise.

Le concept de réputation ne faisait que tirer les enseignements pratiques de la théorie économique sur l'influence de l'irrationalité et des effets de mimétisme sur les cours de Bourse. Il se fondait sur l'idée, aujourd'hui évidente, que la valeur d'une entreprise ne se résume ni à son bilan ni à son «business plan», mais qu'elle repose également sur une évaluation beaucoup plus subjective de sa stratégie et de son potentiel de développement.

Dans le contexte d'aujourd'hui, élargi au grand public, la réputation est donc la perception plus ou moins positive de la performance métier de l'entreprise. Une performance qui est objective. La réputation est donc complémentaire de l'image, fondée, elle, sur des perceptions subjective et irrationnelle.

Deux exemples illustrent bien la distinction entre les notions, et son intérêt. L'attaque de Kit Kat par Greenpeace (concernant l'utilisation d'huile de palme contribuant à la déforestation) et la crise qui s'en est suivi n'ont eu que peu de conséquences, en dehors du petit cercle des «influenceurs». Pour une raison simple: le métier de Nestlé n'est pas de sauver la planète. Le métier de Nestlé, c'est de fournir à ses clients des produits bons, sains et sûrs. À l'inverse, la crise que traverse encore Quick est une rupture de confiance fondamentale au cœur du métier de l'entreprise: la sécurité alimentaire.

Image et réputation n'ont pas les mêmes dynamiques, pas les mêmes règles, et s'approchent avec des stratégies et des outils différents. La réputation, parce qu'elle s'appuie sur un métier, se mesure aussi par rapport aux autres acteurs de la même activité. Elle peut être comparée. Elle est fortement influencée par la réputation de l'activité.

Protéger et construire sa réputation, c'est donc identifier ce qui fait le cœur du métier, la mission fonctionnelle de l'entreprise, et engager avec les publics un processus de conviction (et non de séduction). C'est là que le digital est un outil clé. À la fois parce qu'il permet d'apprécier la qualité de la réputation d'une marque, les lieux où elle se joue et les acteurs qui l'influencent, mais aussi parce qu'il permet d'intervenir et de convaincre. C'est un outil essentiel, une formidable opportunité pour les marques de rétablir les faits, de comprendre leurs faiblesses et de renforcer leur valeur. À condition, toutefois, de bien définir son métier et de cantonner l'approche à celui-ci.

Ce qui ne veut pas dire que l'image n'a pas sa place, mais qu'elle doit être l'objet d'une stratégie de séduction-conviction différente, fondée sur d'autres analyses et d'autres leviers.

La réputation ainsi définie devient un concept pleinement opérationnel: un champ d'action défini, à la fois en termes de surveillance et de réponse, et des critères de performance précis. Elle est complémentaire des facteurs émotionnels de construction des perceptions, par essence impénétrables à la rationalité. Elle s'appuie sur la dimension conversationnelle du digital pour construire ce processus de conviction.

Intégrer la révolution digitale doit amener à réinventer la notion de réputation au global, pas à créer une nouvelle discipline. Les frontières digitales n'existent plus, dans ce domaine comme dans celui de l'image. Les marques ont-elles une «e-image»?

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