Avant, les stratégies des moyens avaient le même sens de circulation. Les marques identifiaient leur cible et la mettait de côté. Ensuite, elles fabriquaient leurs messages publicitaires, en choisissaient les supports on et off, décidaient de l'enveloppe budgétaire et enfin définissaient et empruntaient les bons tuyaux pour non plus toucher simplement la cible, mais, depuis la génération des consom'acteurs, pour l'interpeller, la concerner par le message. Les marques avaient alors le sentiment du devoir accompli. Secodip et Médiamétrie validaient l'acuité de leurs dispositifs, parfois même les courbes de ventes s'envolaient, le directeur commercial avait comme nouveau meilleur ami le directeur marketing qui avait pondu la p… de campagne qui regonflait les chiffres et le moral. On était alors dans une logique de cible, posée là-bas, au loin. Mais ça, c'était avant…

Et puis la cible en a eu assez de recevoir tout et n'importe quoi et surtout tout le temps, d'avoir cette impression d'être épiée, surveillée, de ne pouvoir sortir, manger, courir, conduire… sans que les as du marketing n'aient manqué l'occasion de les toucher là maintenant, au bon endroit au bon moment, pour la bonne raison. Et ce qui était spectaculaire, ce marketing poussé jusqu'à la connaissance de la couleur de mes chaussettes, et des vôtres, est devenu intrusif, pénible au point d'en être de plus en plus contreproductif.

C'est alors que, à la fois par réflexe de survie et grâce au prolongement de notre personnalité qu'est notre mobile, nous avons, nous les usagers, les utilisateurs, les consommateurs, adopté un tout autre comportement. Nous nous sommes mis à choisir nous-mêmes les informations qui nous intéressent, les contenus auxquels nous sommes sensibles, voire même les publicités qui nous semblent les mieux foutues. Et ce n'est pas tout ! Nous faisons ces choix sur les supports que nous jugeons les plus appropriés, nous plébiscitons la recommandation sociale, nous donnons notre avis, nous le partageons…

Nous ne sommes plus des cibles, nous sommes devenus des opérateurs qui, mieux que personne, savent ce qui est bon pour eux. Le Web nous y a engagés, le mobile nous y accompagne, les réseaux sociaux sont nos phares dans la brume, et demain quasiment sans ouvrir la presse, sans écouter la radio, sans regarder la télévision et en marchant dans la rue les yeux fermés, nous serons quand même à la pointe de l'info parce que nous l'aurons décidé.

Quel enjeu pour les marques dans ce contexte ? Elles font appel à un nouvel agent. Son nom est Bound, Inbound, Inbound marketing exactement. C'est cette nouvelle façon d'envisager la cible qui change le sens de circulation dont nous parlions plus haut. Et aujourd'hui, les marques ont une nouvelle mission, si elles l'acceptent, qui consiste à être présentes partout pour se donner une chance que la cible puisse venir chercher une info, une promo, un bon plan, un nouveau produit… Les marketeurs ne doivent plus choisir les supports pour être visibles, reconnus, consommés. Ils doivent plutôt répondre à cette nouvelle question : «Où je ne suis pas pour m'empresser d'y être et ainsi ne pas manquer le passage de ma cible qui finira bien par se décider à venir m'y trouver.»

Avant, on faisait de la stratégie des moyens, il fallait choisir les bons supports, les bons tuyaux. Aujourd'hui, on est dans l'ère du 360 degrés obligatoire, la stratégie des moyens est devenue le listing des moyens stratégiques. Et même s'il est vrai que tout cela a perdu un peu d'intelligence, on réfléchit moins quand on n'a pas à choisir, il faut quand même reconnaître que l'aspect stratégique des choses a glissé vers le contenu. Et ce n'est pas plus mal. Ainsi, on est invité à s'interroger non pas sur où et quand mettre sa publicité, mais comment doit-elle se comporter envers la cible qui choisira de la voir et sera, espérons-le, tentée de s'y intéresser, de mordre dedans, pour finir par rentrer dans la relation qu'on lui propose.

L'Inbound marketing donne de nouvelles obligations aux marques et une grande liberté aux gens. Le fameux sens de circulation a changé, c'est un peu comme le boulevard Poissonnière à Paris: on y passait, avant, dans le sens de circulation qui laissait le Grand Rex sur la gauche. Puis cela a changé il y a quelques mois (double sens). Au début, tout le monde s'en étonnait; aujourd'hui, c'est très largement passé dans les mœurs. Et on peut dire que ce n'est pas de sitôt que la circulation changera de sens à nouveau…

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