Le publicitaire anglais Dave Trott rendait récemment hommage à feu son confrère John Webster en ces termes: «Most ad people think: no one gives a shit about advertising, so let's do stuff that's got nothing to do with advertising. Webster thought: most people don't give a shit about advertising so let's do advertising that's really interesting.» Cette apparente lapalissade est une bonne occasion de s'interroger sur l'essor du native advertising, et de voir si celle-ci relève plutôt de la première ou deuxième catégorie de publicitaires.

Ainsi donc les Français "likent" la publicité native, nous assure une étude financée par Adyoulike, régie publicitaire de publicité native. Si le terme n'a pas eu le succès d'un selfie au palmarès du buzzword 2013, force est de constater que le native advertising (le jargon fonctionne toujours mieux en anglais) a été et sera l'un des grands sujets de discussion du landerneau publicitaire.

Petit retour en arrière pour essayer de comprendre ce qui se cache derrière ce terme quelque peu novlangue. La publicité sur Internet véhiculait une promesse forte: être interactive. Avec comme postulat le fait que les individus ont envie de parler ou d'avoir des relations en ligne avec une marque (ou plus exactement avec les personnes qui travaillent pour lesdites marques). Etait même annoncée la fin de la pub traditionnelle. Mais au final, la publicité sur Internet s'est surtout traduite par des bannières et des pop-up.

Entre temps, Adblock, ce petit plug-in qui bloque la présence publicitaire intempestive et autres cookies sur votre navigateur, a été téléchargé plus de 240 millions de fois. Autant dire que la dimension interactive de la pub sur Internet en a pris un coup: les internautes, sans doute à l'exception des fameux 6% qui cliquaient sur 80% des bannières, comme le soulignait une étude il y a quelques années, ne veulent pas de pub surgie de nulle part ni sur les sites fréquentés ni sur les réseaux sociaux. Bref, il fallait inventer autre chose, pour reprendre les mots de John Webster.

Vive le qualitatif!

C'est là qu'arrive le native advertising. Adyoulike nous dit que c'est une pub en ligne mieux intégrée à l'environnement rédactionnel, exécutée avec davantage de goût et si possible intéressante. Des caractéristiques qui ressemblent étonnamment à une bonne pub, en ligne ou pas, comme on peut certes en voir assez rarement à la télé ou dans la presse. C'est ce qui a fait le succès d'une newsletter comme Little Paris ou encore de magazines comme Egoïste ou Citizen K dans le milieu des années 1990. Une recette qui consiste à confier la responsabilité de la création non à une agence, mais à une direction artistique étroitement liée au support, qui en connaisse l'histoire, l'identité et le public.

Le native advertising, c'est finalement la reconnaissance qu'une certaine approche qualitative de la pub traditionnelle adaptée à l'environnement digital peut être payante. C'est finalement un mot sexy, synonyme de brand content ou content marketing pour illustrer l'adaptation du publi-reportage au digital, qui peut se révéler dans le bon - ce que fait GE avec The Economist - comme dans le pire - le badbuzz de Coca-Cola sur Minute Buzz. C'est aussi le signal clair d'une dilution accrue de la frontière entre contenus éditoriaux et contenus publicitaires au sein d'un média.

Mais derrière les jolis mots, se cache également une profonde redistribution des cartes entre les différents acteurs de la communication. Et pas forcément à l'avantage exclusif des agences de publicité. En effet, le native advertising, c'est d'abord un job de production de contenus qui ne sont pas forcément publicitaires, au sens créatif du terme. Qui est donc désormais le plus légitime pour répondre à ces nouveaux besoins de création de contenus? Les agences de publicité, les agences médias, les média eux-mêmes qui se réapproprient d'une certaine façon la créativité au détriment des premières?

Sans oublier l'innovation technologique qui favorise l'émergence de nouveaux acteurs. Face aux médias qui essaient de sauvegarder-réinventer un modèle économique en s'appuyant sur les technologies digitales, surgissent des sociétés technologiques qui produisent du contenu média (de marque) à partir d'algorithmes. Une société comme Buzz Feed, dont la création de native advertising est au cœur du business model, emploie une quarantaine d'individus qui produisent du contenu de marque. Soit à peu près la taille d'une petite agence de publicité.

Derrière le native advertising, se joue finalement une évolution de fond du métier et de la valeur ajoutée apportée par les agences de publicité. Avec sans doute des choix à effectuer entre défense d'une créativité forte et stratégique, et production industrialisée de brand content. Le débat est ouvert.

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