Tribune
Raphaël Berger, directeur du département Média et Numérique de l’Ifop revient sur les conséquences de la récente expérience faite par Facebook qui a provoqué un tollé auprès des utilisateurs.

La récente expérience faite par Facebook de modifier, pendant une semaine, le contenu du fil d'actualité de 689 000 utilisateurs afin de mesurer la viralité des émotions a soulevé beaucoup de commentaires, tant positifs – c'est une expérience intéressante, les résultats semblent probants – que négatifs – l'analyse est succincte ou incomplète, l'échantillon pas scientifiquement constitué.

En termes de critique, c'est surtout le fait que Facebook ait contrôlé les fils d'actualité de ses membres sans leur autorisation qui pose question. Ce dernier point est de loin le plus intéressant car il pose, enfin, la question de la réalité et de sa perception. Au début d'Internet, on a longtemps parlé de la «vraie vie» («in real life», IRL) par opposition à la vie du Net, comme s'il n'était pas la «vraie vie», comme si les internautes ne «vivaient» pas aussi sur Internet, comme ils vivent «en vrai». Et puis, les pratiques évoluant, Internet faisant partie de la « vraie vie», cette distinction un peu absurde a disparu. Sur les sites de rencontre en ligne, on rencontre bien des «vrais» gens; commenter, liker, sur les réseaux sociaux, c'est aussi la «vraie vie».

Or cette expérience faite par Facebook montre que non, les choses ne sont pas aussi simples. Ce que l'internaute qui a vécu cette expérience percevait de sa «vraie vie», en l'occurrence, les actualités des membres de son réseau Facebook n'était qu'une image déformée, maîtrisée, de la réalité. On pourrait reprendre l'allégorie de la caverne de Platon, mais à l'envers : sur Facebook, les participants involontaires de cette expérience ont quitté le monde réel pour pénétrer dans un monde dont ils ne perçoivent plus qu'une image volontairement tronquée.

 

Facebook n'est pas un démiurge et il s'agissait d'une expérience somme toute plutôt intéressante. Il n'empêche, cela réveille en nous une interrogation, un doute: est-ce que tel ou tel site Internet me dira bien la «vérité»? Tel comparateur de prix me présente-t-il bien le «vrai» prix d'un billet d'avion et non un prix surévalué du fait de mon profil IP, repéré sur le site? Et tel moteur de recherche liste-t-il bien toutes les réponses à ma requête, en toute impartialité?

 

Derrière cette expérience de Facebook, c'est finalement la question de la neutralité d'Internet qui est posée. Si certains sites sont désormais au cœur de notre «vraie» vie en ligne, gardons à l'esprit que nous pourrions aussi ne voir que ce qu'ils veulent bien nous montrer. Sans sombrer dans la parano, restons vigilants, pour qu'Internet reste la réalité, et pas une vision de la réalité.

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