Recrutement
Recrutement. Dans les agences et les médias, chez les annonceurs et les GAFA, la grande traque des data-scientists a commencé. Résultat, les salaires explosent et... les impostures se multiplient. Enquête. Gilles Wybo @GillesWybo

Un pavillon de chasse en bas des Champs-Elysées. Le 28 novembre 2014, le Pavillon Gabriel, à 500 mètres de l’Elysée, s’est transformé en haut lieu de la vénerie. Près de mille data-scientists sont attendus au salon Data Job, où une dizaine de chasseurs de têtes sont venus braconner. Un tel rassemblement est rarissime, car l’espèce est peu nombreuse: seulement 200 à 300 jeunes sont lâchés dans la nature chaque année, quand les besoins réels sont estimés entre 2 000 et 3 000. Parmi les recruteurs présents ce jour-là: 1000 Mercis, Deloitte, Société générale, EY ou encore Axa. Du coup, chacun veut repartir avec au moins un data-scientist sous le bras - comme un trophée.

 

C’est le cas de 1000 Mercis, 400 salariés dont une trentaine de data-scientists. «Nous avons cinq postes ouverts et nous en recrutons une dizaine par an, confirme le directeur général de 1000 Mercis. Ils sont très demandés en ce moment, aussi bien en France que dans la Silicon Valley, où nous venons de nous installer. Mais l’expertise française est très reconnue sur ces métiers-là.» Résultat, en ce début 2015, le data-scientist s’attrape à coups d’euros sonnants et trébuchants: comptez 50 000 euros par an pour un jeune spécimen, 100 000 à 150 000 euros voire au-delà quand il a plus de trois ou cinq ans d’expérience.

 

Annonceurs, agences digitales, médias, cabinets de conseil ou d’audit, même combat: tous doivent intégrer cet alchimiste des temps modernes, capable de transformer la data en or. Une aubaine pour Jérémy Harroch, directeur de Quantmetry et fondateur du salon Data job. «Les recruteurs sont plus nombreux et plus mûrs, constate-t-il. Ils ont compris l’avantage concurrentiel que pouvait leur apporter le big data et cherchent à compléter leurs équipes.» Et à se structurer: «On voit se créer des premiers postes de data-manager, comme chez Axa récemment, afin de piloter un département qui englobe le CRM, les études, la data...», observe Damien Crequer, associé chez Taste RH.

Far West

Comme le marché est clairement favorable aux candidats, cela profite à tous les métiers de la filière data. «Dans mon équipe, qui comprend 5 data-miners et 3 web-analysts, trois personnes se sont fait chasser depuis le début de 2014. Comme je ne peux pas blacklister toute l’équipe, je remplace les partants et j’intègre des data-scientists», témoigne Baptiste Pigaux, responsable data-mining et web analytics au PMU.

 

Chez Fifty Five, Mats Carduner, le PDG, est confronté au même défi: «Sur 110 salariés, nous avons 5 data-scientists et 46 data-analysts, et il y a une forte concurrence sur ces profils.» Une autre agence digitale admet accorder des augmentations automatiques de 10 à 15 % chaque année à ses data-scientists. Cette guerre des talents touche aussi les data-analysts, au profil plus marketing.

 

«Avec le big-data, on revit le virage du social media d’il y a quatre ou cinq ans, constate une DRH d’agence digitale. Il y a une excitation, une découverte... En même temps, c’est un peu le Far West, on avance à tâtons, sans savoir ce que l’on veut quand on recrute. De leur côté, certains candidats s’inventent un titre de data-scientist, sans avoir ni diplôme, ni expérience...»

 

Or cette expertise ne s’improvise pas. Il faut savoir coder, connaître l’architecture des systèmes d’information, maîtriser Hadoop, le logiciel phare des data-scientists... Gare aux imposteurs! «Personne ne sait vraiment ce que ce qu’est un data-scientist, quelles compétences il doit maîtriser, s’agace Gilles Babinet, digital champion et fondateur de Captain Dash. Résultat, j’ai un ancien salarié de 28 ans qui vient de se faire débaucher par une société britannique pour 250 000 euros alors qu’il n’avait jamais travaillé sur Hadoop. Un salaire multiplié par cinq. Les GAFA et les grands groupes nous prennent ces profils.»

 

L’imposture peut aussi se retrouver côté entreprise. Certaines agences pensent qu’il suffit de se rebaptiser «data agency» pour surfer sur la vague. «Le big data, c’est un peu comme le sexe chez les ados, tout le monde en parle alors que personne ne connaît, tout le monde pense que tout le monde en fait alors qu’en fait c'est très peu pratiqué», sourit Stanislas Di Vittorio, PDG de ESV Digital. D’ailleurs, des formations permettant de se reconvertir à ce métier émergent (lire par ailleurs). En tout cas, la traque ne fait que commencer, selon Gilles Babinet: «Seulement 30 à 40% des entreprises du CAC 40 ont constitué une équipe de data-scientists.»

Avis d’expert: «Une guerre des talents incroyable»

Erwan le Pennec, professeur associé en mathématiques à l’école Polytechnique

«Une diplômée de notre master spécialisé en big data, organisé conjointement avec Telecom Paris Tech, vient d’être recrutée par Facebook aux Etats-Unis. Il y a actuellement une guerre des talents incroyable: je reçois chaque semaine beaucoup d’offres d’emploi et de stages pour des data-scientists. Le salaire d’embauche de nos jeunes diplômés est de 50 000 euros annuels. C’est un métier qui se crée avec des nouveaux usages et qui induit une transformation assez forte de la manière de travailler dans les univers où il débarque, il faudrait davantage de profils senior pour le structurer, organiser la gestion, le partage des données. Mais il y a surtout des juniors sur le marché. Du coup, un grand nombre de professeurs et chercheurs quittent en ce moment le monde académique pour rejoindre les entreprises. Et l’engouement se retrouve aussi du côté des sollicitations: pour la chaire data scientist que nous venons de créer avec Keyrus, Orange et Thales, ce sont plutôt nos partenaires qui sont venus nous chercher. Beaucoup de sociétés frappent à notre porte en ce moment. Par ailleurs, nous allons lancer un programme de formation continue, “Data science starter”, de 20 jours, au printemps, destiné à des professionnels du marketing ou de la business intelligence, travaillant autour des données. Cela leur permettra de comprendre les enjeux et les difficultés face à l’augmentation du volume de données.»

 

De responsable marketing à data-scientist 

Denis Oblin, 42 ans, consultant data-scientist, diplômé du mastère spécialisé «Big Data» de Telecom Paris tech, afffirme

avoir sauté sur l’occasion en découvrant que s’ouvrait qu’une formation au big-data .«J’avais eu une longue expérience de direction marketing et relation client, dernièrement chez Groupama. Ce mastère est pour moi un complément logique, il faut dire que j’étais ingénieur à l’origine (Centrale Nantes). Aujourd'hui je partage mon temps entre l'Institut Mines-Telecom et une activité de conseil en data marketing.» A Mines-Télécom, il monte des programmes de recherche entre industriels et  chercheurs. Et aide les entreprises et les cabinets de conseil en tant que consultant à ajuster leur approche avec de l’analyse prédictive. La moitié de ses camarades de promotion a rejoint des producteurs de données (GDF, Withings, Air Liquide, Total...) et l’autre moitié des prestataires d’analyse de données (agences digitales et cabinets de conseil).

 

(hors texte)

Chiffres clés

2 000 à 3 000. Besoins annuels de data-scientists

200 à 300. Nombre de diplômés par an

50 000 euros. Salaire d'un data-scientist jeune diplômé 

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