Organisation
Melty, Webedia, CCM Benchmark, Reworld Media... Ces nouveaux acteurs des médias ont repensé complètement l'organisation traditionnelle des rédactions. Et le périmètre des métiers.

Il n'y a pas une rédaction à Melty mais... 28, dont la moitié sur des sites internationaux. Selon Olivier Levard, directeur de la rédaction de Melty Group, chacune compte entre 1 rédacteur et 10 (pour le site Melty.fr). La société, qui comptera d'ici un mois 60 rédacteurs, est emblématique de ces nouvelles formes d'organisation sur internet qui s'apparentent sans doute plus à de la production de contenus qu'à du journalisme.

«J'ai recentré sur les loisirs, affirme d'ailleurs Olivier Levard, avant on faisait encore dans le hard news.» Le groupe fait autant appel à des journalistes qu'à des free-lance passionnés de leur spécialité (surf, design, stylisme...), lesquels sont payés 11 euros en moyenne pour un court article et intéressés aux audiences après une formation d'une quinzaine de jours où ils apprennent à écrire sans rewriting.

Dans la salle de rédaction dessinée par l'architecte Nicolas Maugery, «soixante places à la cool» (canapé, fat boy...) sont proposées dans les recoins en sus des postes de travail. L'équipe, qui a entre 20 et 30 ans, peut venir s’y installer avec un portable. Elle est rémunérée «un peu plus que le Smic» et «bénéficie d'une assez grande liberté dans les horaires» même si certains doivent venir très tôt pour être compétitifs sur l'actualité des séries américaines, par exemple.

Principe clé: l'hyper-couverture des sujets pour générer du clic. The Walking Dead a ainsi droit à vingt articles et trois vidéos. Le SEO a intégré le back office pour bien référencer les contenus sur la toile tandis que l'algorithme - établi à partir de Google, des réseaux sociaux et de Melty - se charge de capter l'attention des jeunes: «On s'intéresse à ce qui intéresse nos lecteurs», résume Olivier Levard, qui supervise par ailleurs lui-même les opérations de brand content et de native advertsing: «Les rédacteurs veulent parfois trop bien faire»..., sourit-il.

Responsables de chaîne

A CCM Benchmark (Journal du Net, L’Internaute, Journal des femmes..), son PDG Benoît Sillard emploie près de 200 salariés, dont 80 personnes dans sa rédaction. Chez lui, pas de journaliste à proprement parler puisqu’aucun ne dispose d’une carte de presse professionnelle (voir encadré).

Avantage, le périmètre du métier des rédacteurs est défini par l’éditeur, dans une logique de verticales. «Les gens arrivent chez nous non comme exécutants mais comme responsables de chaîne, explique le patron, 60% des effectifs suivent d’ailleurs une formation. Je veux qu’ils aient la mentalité de start-up ou d’autoentrepreneurs pour devenir la cheville ouvrière d’un écosystème dont ils ont la responsabilité.»

Les rédacteurs en chef doivent donc se poser la question non seulement du public qui va les lire – en étant proactif dans le buzz – mais aussi du «moyen de monétiser leur audience». Dans l’escarcelle de ces responsables-rédacteurs, on trouve donc le community management, les relations avec la régie ou le management des chroniqueurs et contributeurs…

Pascal Chevalier, président de Reworld Media, n'hésite pas de son côté à parler «d'usine de production de contenus» pour tous les écrans. Sur le papier, n'est plus publié qu'une sorte de best of des contenus numériques. «On publie dans le mois ce qui a plu en ligne», dit-il. Face au risque ressenti par les journalistes de perdre la main face au marketing et à la régie publicitaire, il estime que «les journalistes doivent se demander s'ils sont prêts à prendre la main sur la régie, pas le contraire».

Webedia ne s'embarrasse pas nous plus d'une ligne de partage étanche entre communication et journalisme. Son PDG, Cédric Sire, le reconnaît, «les frontières sont poreuses quand on traite de la mode ou du people, avec Pure Trend et Pure people, comme dans tous les féminins».

Sur les autres sites de ce groupe spécialiste du brand publishing (pour Schweppes, L'Oréal, Renault...), les journalistes sont priés de ne pas s'intéresser qu'aux contenus mais aussi «au merchandising de leurs contenus et aux règles SEO, cent fois moins contraignantes qu'une maquette de journal», selon Cédric Sire. Quant a la rédaction d'Allo Ciné , elle est tenue de ne pas s'autoriser la moindre critique.

Mission est donnée au rédacteur en chef de balayer tous les sujets de leur thématique: 80 «sujets» par jour pour Pure People, qui compte 15 rédacteurs et vingt par jour pour les cinq journalistes de Pure Media.

Resultat, Webedia compte avec CCM Benchmark parmi les champions du web français. Le groupe, qui prévoit de lancer en mai Le Bon guide, un site sur le tourisme en France avec 40 à 50 sujets par jour, recrute 200 personnes en 2015, dont un tiers dans le brand publishing, 15% de développeurs et près de 15% de journalistes. Une usine éditoriale qui tourne…

La carte des journalistes en question

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, qui fête ses 80 ans, n’est pas très prisée par Benoît Sillard (CCM Benchmark), dont aucun des rédacteurs n’a le précieux sésame. Cet éditeur revendique un positionnement en dehors des conventions collectives des journalistes. «Ce métier devient obsolète, assénait-il en début d’année, il est dramatique de voir ce qu’il induit en termes psychologiques. Avoir des journalistes aujourd’hui, c’est un facteur d’encroutement, et cela ne correspond pas à l’esprit d’internet.» Un jugement très sévère qui va à l’encontre de l’embauche de jeunes journalistes plutôt bien formés et polyvalents. Les recrutements sont toutefois très rares. Sur 36317 cartes attribués en première demande en 2014, 546 vont à des stagiaires mensualisés et 61 à des journalistes mensualisés titulaires.

 

Avis d'expert

Rémy Le Champion, maître de conférences à Paris 2, directeur adjoint du master de journalisme de l'Institut français de presse, enseigne l'économie des nouveaux médias.

«Une logique de la demande»

 

Les webrédactions ont-elles investi dans le journalisme?

Avec la disparition des coûts d'impression et de distribution, on a pensé qu'on allait pouvoir se concentrer sur la production journalistique. Mais on a assisté plutôt à la réduction du nombre de rédacteurs ou à une intensification de la productivité journalistique. Avec cela, une externalisation des coûts fixes en coûts variables pour mieux épouser les aléas: au lieu de CDI, il est préférable d'avoir des pigistes ou des contributeurs sur le modèle des fermes de contenus, avec des rédacteurs payés à la pièce comme on est payés au rendement à l'usine.

Qu’apportent les outils technologiques?

Les nouvelles technologies et les algorithmes permettent de passer d'un journalisme de l'offre - avec une rédaction qui décide du choix, du traitement et de la hiérarchie des sujets - à une logique de la demande, au vu de l'environnement concurrentiel et du potentiel publicitaire d'un thème traité. C'est très déshumanisé et à l'opposé du savoir-faire journalistique d'identifier un demande latente.

Mais cela ne concourt-il pas à plus de diversité face à des rédactions qui reprennent toutes l’AFP?

On passe d'une dépendance au grossiste à une dépendance au public, en prise direct avec les contenus quand il ne contribue pas directement. Pourtant, ces deux modèles peuvent être complémentaires. Le risque est une plus grande indifférenciation, une plus grande porosité par rapport aux forces économiques et de menacer le modèle journalistique qui a prévalu.

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