Organisation
A l’heure de la famille recomposée, le couple traditionnel de la pub, le team créatif, se réinvente. Il va bien au delà du simple duo DA/CR. Troisième volet de notre enquête sur les créatifs.

Le team créatif, pilier de l’agence de publicité, serait-il en train de vaciller? «Il n’y a plus de notion de team créatif indéboulonnable comme il y a vingt ans», affirme Olivier Apers, directeur de la création de BETC. Certaines agences n’hésitent plus à renoncer à ce symbole pour installer de nouveaux modes d’organisations. «Il faut dire que le binôme directeur artistique/concepteur rédacteur (DA/CR) n’avait pas évolué depuis les années 1950», rappelle Andrea Stillacci, président de la délégation publicité de l’AACC (association des agences conseils en communication), président et directeur de la création d’Herezie. Pour s’adapter à l’injonction contradictoire -multiplication des points de contacts et baisse des budgets-, les agences sont obligées de repenser leur modèle. Une refonte plus ou moins radicale selon les structures. Le team créatif est-il en sursis? Ou la famille CR/DA est-elle simplement en train de s’agrandir, en accueillant des nouveaux membres comme le creative technologist?

«Le team créatif est mort, en grande partie, estime Baptiste Clinet, directeur de la création d’Ogilvy, la cause est entendue. Parmi mes 70 créatifs, j’ai beaucoup d’équipes qui ne travaillent pas par deux. Sur certains projets, il n’y a qu’un créatif, sur d’autres jusqu’à cinq.» Même constat chez Herezie: «Aujourd’hui quand nous planchons sur un brief, il y a beaucoup plus de participants autour de la table que le CR et le DA: des créatifs médias, mobiles…, dit Andrea Stillacci. Cette nouvelle flexibilité fait qu’une campagne peut être aussi bien signée par 6 ou 7 créatifs, que par un seul.» Autre phénomène qui met en danger le team créatif classique : la montée en puissance du visuel, au détriment du texte dans le digital. «Il y a de plus en plus besoin de DA, et moins de CR, relève Pascal Grégoire, coprésident de La Chose. Un rédacteur peut bosser avec trois DA.»

Agilité forcée

Bien sûr cela ne restreint pas pour autant la place des créatifs classiques dans l’agence: ils restent le cœur du réacteur de toute agence de publicité. Georges Mohammed-Chérif, président de Buzzman, croit à une évolution de la définition du team créatif: «Cela reste un team créatif dans le sens “équipe”. Simplement ces teams intègrent bien souvent, en sus, un planneur, un creative technologist, un spécialiste social media/RP...»

Un mécano créatif qui se recompose en fonction des budgets: «Cela nous oblige à opter pour des méthodes plus risquées qu’il y a quinze ans, en mariant de nouvelles expertises: faire travailler un channel planner avec un creative technologist, par exemple, dit Christophe Perruchas, vice-président en charge de la création de Change. Il y a tellement de nouvelles expertises, que dans l’agence idéale je devrais embaucher quinze profils différents. Comme c’est impossible, nous sommes obligés d’être agiles, de picorer des compétences dans un écosystème élargi: agences, freelance…»

Les bons mécanos

Ogilvy qui gère le budget Netflix, réinvente aussi l’organisation de l’agence autour de ce gros client: «Nous allons par exemple embaucher un screenwriter (scénariste) pour travailler sur l’écriture pour Netflix, détaille Baptiste Clinet. Et nos créatifs s’appuient également sur un creative lab (composé d’ingénieurs, spécialistes du packaging…) qui a pour vocation à les aider à trouver des idées différentes.» Même les teams classiques travaillent différemment: ainsi pour son client Netflix qui leur fournit beaucoup de données, Ogilvy a fait plancher ses équipes de création des journées entières avec des analystes datas. Un changement important dans la posture des agences: «La stratégie des moyens devient aussi importante que la stratégie de marque, explique Christophe Perruchas, de Change. Ce qui est intéressant, c’est de trouver les bons mécanos, d’organiser les compétences de façon créative.» Un glissement aussi en termes de posture RH: il ne faut plus penser «fonction» mais «rôle» de chacun dans un projet.

Le président de Brandstation, Loïc Chauveau, a la même approche: «Nous créons des équipes moléculaires qui évoluent en fonction des briefs. On peut imaginer que le team de demain sera composé d’un CR, d’un DA, et d’un planneur stratégique, auquel se rajoutera au coup par coup un creative technologist.» Enfin à chaque brief, la question centrale pour le directeur de la création: quelles compétences «je vais activer»? Un phénomène comparable à ce que vivent les grandes entreprises: les agences sont en train de casser les silos. Enfin, ce peut être une préfiguration de l’évolution des métiers: «Il y a beaucoup d’écoles de publicité qui apprennent aux créatifs les deux métiers: le rédacteur se mêle de l’image et le DA des mots et du son», observe Sophie Gratacos, responsable trafic de BETC. 

A Londres, les créatifs sont plus encadrés  

De l’autre côté de la Manche, le créatif débarque à l’agence dès potron-minet, selon Julie Jeantet, directrice du cabinet Hanson search: «Les créatifs arrivent tôt le matin, ont des journées très denses, déjeunent au bureau et ne restent pas tard le soir, sinon ils sont considérés comme mal organisés.»

Autre différence d’après la recruteuse: les agences londoniennes, souvent plus grosses, ont davantage de niveaux hiérarchiques. «DA ou CR, puis lead créatifs, puis associate creative director, puis creative director, puis executive creative director», liste Julie Jeantet. Dans les plus grosses agences, les directeurs de création anglo-saxons ont une approche plus business (rentabilité des projets…), en plus de la marque. 

 

 

 

 

Les nouveaux créatifs sont-ils plus difficiles à manager?

«Notre mode de management ressemble à la façon dont nous gérons les marques : en temps réel et à flux tendu, dit Anne de Maupeou, directrice de la création de Marcel. En revanche les créatifs sont beaucoup moins difficiles à manager qu’il y a dix ou quinze ans, car le métier s’est professionnalisé et il y a moins de stars avec des ego démesurés.»

Pour obtenir le meilleur de ces talents, il faut savoir les caresser dans le sens du poil. Un mode de management qui reste exigeant. «Les ego ça se gère, mais il faut créer un bon climat, un environnement favorable aux créatifs, leur donner de bons briefs, c’est comme ça qu’ils donneront le meilleur d’eux-mêmes», juge Pascal Grégoire, coprésident de La Chose.

Bien sûr le type de briefs joue un rôle déterminant dans la motivation des créatifs: «Total ou Intermarché, ce sont des budgets qui peuvent sembler difficiles sur le papier, mon boulot c’est de les rendre les plus sexy possibles pour les créatifs, dit Anne de Maupeou, directrice de la création de Marcel. Et avec Intermarché nous avons ainsi créé la campagne les légumes moches.»

Autre défi pour le directeur de la création: faire grandir le talent de ses créatifs. «J’ai eu des créatifs plus forts que moi, je n’ai jamais eu peur de les faire grandir, ils m’ont poussé vers le haut, conclut Anne de Maupeou. Il faut les faire briller, ne pas les étouffer.»

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