L’agence TBWA Paris a entrepris il y a cinq ans sa «transformation digitale». Organisation des équipes, méthodes de travail, relations avec les clients, produit créatif… le point avec Guillaume Pannaud, président, Philippe Simonet et Anne Vincent, vice-présidents.

Deux ans après, quel bilan tirez-vous de la nouvelle organisation mise en place à la suite de la suppression du poste de directeur de la création?

Guillaume Pannaud. Cette décision, nous l’avons prise il y a deux ans d’abord au nom de l'innovation. Tout change, le digital produit de l'horizontal dans des organisations pensées de manière verticale: pour accélérer la transformation de l'agence, on s'est dit qu'on serait fous de ne pas tenter ce nouveau mode d'organisation. Plus concrètement, cela voulait dire responsabiliser les treize patrons de création pour qu'ils prennent en charge l'ensemble de la plateforme créative de leurs clients et en soient un agent de changement.

 

Quel bilan, donc?

G.P. Sur la quasi-totalité de nos clients, le niveau créatif a monté et il est bon; sur l'ensemble des clients, la transformation est en œuvre, plus ou moins accomplie mais en œuvre. C’est un «work in progress» mais au regard de nos objectifs et des enjeux, le bilan est positif.

 

Mais il y a un «mais»…

G.P. Le point difficile, c'est que nous avons rendu l'incarnation de la création de l'agence fractale. C'est compliqué et cela explique parfois que la réputation de TBWA ne soit pas à la hauteur de la réalité. On a un peu perdu en termes de visibilité de la production créative au sens large. Cela nous fait réfléchir.

 

Plus clairement?

G.P. On se reverra quand la réflexion sera aboutie. C'est la réponse la plus transparente et honnête que je puisse vous faire.

 

L'innovation, c'est bien sûr le digital, vous l’avez dit. Où en êtes-vous en termes de culture et d'organisation ?

Philippe Simonet. Nous sommes plutôt fiers du travail accompli. L'humus est là: tout peut pousser sur l'agence. Dans la culture et dans les pratiques, cela nous distingue, me semble-t-il, de nos gros concurrents. Mais sommes-nous arrivés là où nous voulons arriver? Non.

G.P. Cela fait cinq ans qu'on a fait le choix stratégique ô combien important de digitaliser le cœur de l'agence et de transformer l'agence de l'intérieur, et cela nous donne aujourd'hui de l'avance. Le point fondamental, c'est la culture. Il n'y a pas le digital et la vraie vie; il n'y a qu'un sujet. C'est facile à dire mais c'est plus difficile à exercer. Il y a un enjeu d'accompagnement, de formation, de mise en confiance, d'honnêteté vis-à-vis des clients. Assumer le fait qu'on ne sait pas tout et qu'on va chercher ensemble – client et agence – pour construire une courbe d'expérience plus rapide que les autres, c'est absolument clé.

D'un point de vue organisationnel, l'idée est que les équipes soient totalement hybridées en tirant le meilleur parti d'une expertise ou de l'autre. C'est une condition importante de l'innovation et de la créativité. Un dernier mot sur l'organisation: la grande séquence historique du commercial qui attend un brief de son client, le brief passant ensuite au planning stratégique, puis à la création, la création travaillant pendant trois semaines, et retour chez le client, tout cela est fini. Le «dé-séquençage» de notre métier est avéré. Acter cela en termes d'organisation est clé.

Anne Vincent. La digitalisation a changé énormément de choses. Avoir décidé de le faire de manière organique nous a permis de ne pas prendre le problème par les «process». On a pris le problème sous l'angle de la culture, de l'attitude, de l'état de d'esprit. Avec une idée absolument fondamentale qui ne change pas: notre métier est de bâtir des marques et de les emmener quelque part. Ce qui devait changer, c'est l'état d'esprit: accepter de s'hybrider, de travailler avec des gens qui ont d'autres expertises, d'autres références; accepter cela mais aussi l'encourager, travailler de manière collaborative. Cela vaut aussi pour la direction, c'est-à-dire nous trois mais aussi Luc Bourgery, Brice Garçon, Julie Hardy. Nous avons voulu donner l'exemple et nous avons adopté un mode managérial beaucoup plus collaboratif.

 

Parmi les salariés de TBWA, tout le monde a accepté de monter dans le train de la transformation?

P.S. Cela ne se pose pas exactement en ces termes. La vérité, c'est que le business se transforme à un certain rythme. Il n'est pas nécessaire de transformer 100% de l'agence en deux ans. Certains sont moteurs de ce mouvement, d'autres le sont moins, d’autres encore ne le sont pas. Et ce n'est pas très grave.

A.V. Les choses sont allées plus vite là où la demande des clients était forte. Pour la SNCF et Michelin, par exemple, des équipes intégrées, mixtes, hybridées se sont très rapidement mises en place.

 

Les clients sont-ils plus lents ou plus rapides que les agences?

G.P. On vit tous la même chose au même moment. Comme nous, tous nos clients sont en train de se transformer. L’objectif est d'avoir le petit temps d'avance sur eux qui permet de les conseiller au mieux sur les sujets de communication mais, au-delà, de les éclairer sur les transformations qui sont les leurs en tant qu'entreprise. Le sujet, c’est aussi de prendre l'initiative car il y a une prime au «premier transformé». Comment aller plus vite que le marché? Comment conseiller au mieux nos clients dans leur transformation ? Comment entraîner un maximum de monde, de manière heureuse et réjouissante j'espère, dans cette transformation? Voilà le sujet.

 

«Il est temps de tirer le signal d'alarme», déclariez-vous à Stratégies en 2009 au sujet de la rémunération des agences. Où en est-on aujourd'hui?

G.P. Je ne crois pas que globalement cela ait évolué dans le bon sens mais certains clients commencent à prendre conscience du sujet. Des directions marketing se disent que déléguer totalement au service achats un des nerfs de la guerre de l'investissement d'une agence pour son client est peut-être problématique; peut-être faut-il voir un rééquilibrage des choses. Tout cela est évidemment central car il n'aura échappé à personne que la transformation, la vraie, ça coûte énormément d'argent. Former les collaborateurs, transformer les profils si nécessaire, recruter les talents à la pointe de l'innovation, tout cela a un coût. C'est l'intérêt des annonceurs de permettre à leurs agences de prendre en compte cette transformation dans leur rémunération.

 

Fin avril à Los Angeles a été présentée aux managers du réseau TBWA la refonte de la disruption, marque de fabrique de l'agence. En quoi cela consiste-t-il?

G.P. Il s'agit de la refonte de la disruption en tant qu'outil au regard du bouleversement digital. Le social media accélère la transformation et nous avons aujourd'hui les moyens de pouvoir faire vivre les marques de nos clients au rythme des conversations de l'époque. C'est ce point majeur que prend en compte Disruption Live, l'une des composantes de cette refonte de la disruption.

A.V. Disruption Live, c'est une manière de réfléchir pour être en permanence en veille de ce qui se passe, prendre des éléments de culture, des éléments de l'époque, les injecter dans un brief, faire de la création très vite. Bref, organiser une sorte de conversation entre la marque et ses publics.

 

Comment allez-vous mettre cela en place?

P.S. Nous avons identifié des planneurs qui vont être des «spotteurs», des gens dont le job est de trouver des tendances culturelles, des comportements, usages, innovations… La collecte quotidienne de tout cela sera restituée chaque lundi matin à l'ensemble de l'agence. La création, le planning, le commercial, tout le monde peut venir. Deux objectifs: une piqûre hebdomadaire de «pop culture» et un rythme impulsé pour le travail de la semaine. Par ailleurs, nous allons identifier une équipe d'une dizaine de personnes, dite «core team», qui va travailler à 50% de son temps en dehors de son espace de travail habituel pour sortir rapidement des cas concrets qui puissent avoir valeur d'exemple pour les clients et produire un effet d'entraînement sur l'ensemble des collaborateurs. Un exemple en cours: la campagne SNCF qui a commencé le 18 mai avec un film par jour sur TF1 pendant soixante-dix jours, quasiment en direct. Pour la SNCF, le système mis en place permet, le cas échéant, d'identifier un tweet le matin, produire un film dans la journée et le mettre à l'antenne le soir même à 20 heures.

G.P. J’ajouterai sur ce sujet que l'époque a besoin de disruption: plus le temps réel va prendre du poids, plus le risque est grand d'un émiettement du discours et donc plus on a besoin d'une vision claire qui vienne «vertébrer» l'ensemble des prises de parole d'une marque.

 

En 2009, TBWA Worldwide a fait partie des 50 entreprises les plus innovantes de Fast Company. En quoi TBWA est-elle toujours une entreprise innovante?

G.P. TBWA, c'est la marque de l'innovation et si l'on doit innover en termes d'organisation alors c'est ici que cela doit se passer, loin des dogmes, nous en avons parlé à propos de l’organisation des équipes créatives. La disruption est un actif majeur de TBWA. Cette entreprise parle le même langage et s'appuie sur les mêmes méthodes partout dans le monde. C'est unique. La disruption est aussi une voie d'accès à des problématiques pas seulement de communication mais aussi business. Etre une entreprise innovante, c'est aussi mettre de la créativité, de l'innovation très en amont sur la chaîne de valeur, c'est-à-dire sur le conseil. TBWA est une entreprise innovante en ce qu'elle dépose des brevets. Par exemple, ici à Paris, on a inventé le «Shazam de la couleur», dans le cadre de notre collaboration avec OPI. On essaie chaque jour de construire une agence, une entreprise dont chacun puisse dire: c'est là que ça se passe. Nous voulons être «le» lieu de l'innovation et de créativité dans notre champ concurrentiel.

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