Audiovisuel
La nouvelle présidente du groupe audiovisuel public, qui prend ses fonctions ce lundi 24 août, a beaucoup réfléchi sur les chantiers RH et management de France Télévisions. Avant-goût.

«Restaurer la confiance», le premier chapitre du projet «Audace 2020» de la future présidente de France Télévisions, qui a pris ses fonctions le 23 août, entend faire du management l’un de ses trois axes stratégiques. L’ex-directrice exécutive d’Orange sait que rien ne se transforme dans une entreprise publique sans un excessif doigté social et managérial. «On peut avoir le meilleur projet du monde, il ne marche pas s’il n’est pas partagé, coconstruit», avance Marc Chauvelot, délégué CGT du groupe.



Avant sa prise de fonction, Delphine Ernotte a reçu responsables et syndicats pour écouter les doléances. Mais son diagnostic est posé. Premier reproche, «un management trop centralisé dans quelques mains et trop dispersé dans nombre de chantiers», comme elle l'a écrit dans son projet stratégique. Le DRH, Patrice Papet répliquait fin juin que «l’état d’esprit a toujours été à la délégation de responsabilités». Mais en 2010, l’entreprise unique n’existait que sur le papier, «une relative centralisation des décisions» s'imposait. Et il a fallu composer avec  des outils informatiques divergents. «Pour compter les effectifs, tout se terminait par une opération à la main», rappelle-t-il. France Télévisions est passé de 10491 salariés en 2011 à 9850 en janvier-avril 2015. «On est en bonne voie pour atteindre l’objectif de 9750», rappelle le DRH. Un plan de départs prévoit 340 suppressions de postes depuis un an, mais il manque encore 80 volontaires…



Delphine Ernotte prône le «non-remplacement des départs» et la «modération salariale» pour «éviter tout départ contraint». Depuis mai 2013, un accord collectif se substitue aux conventions collectives. Il met fin aux automatismes de  grille salariale en accordant une plus grande part au mérite. Le SNJ qui plaide pour un «véritable paritarisme» l’estime aujourd’hui «nécrosé». Patrice Papet reconnaît une «mise en œuvre difficile» en raison d’un changement de culture. «Le management doit assumer sa décision et donc la justifier, c’est moins hypocrite», dit-il.

«Usine à burn-out»

La dirigeante craint «une crise sociale» avec «la démobilisation des uns face à la suractivité des autres». Le DRH reconnaît qu’il reste des inégalités dans la répartition de la charge de travail et que la planification n’est pas optimale. Après un suicide sur le lieu de travail en mars à Nancy, le risque psychosocial n’est pas non plus absent. «Ce n’est pas France Télécom-Orange, mais il y a un risque. On ne peut plus dire que c’est un problème personnel», note Marc Chauvelot. La réduction de la précarité (voir encadré) a eu selon lui pour effet une «intensification de la charge des emplois permanents pour se priver d’emplois non permanents». Le SNJ parle, lui, d’une «entreprise usine à burn-out».

  Parité, mixité, finalité

La dirigeante annonce «une équipe strictement paritaire» au sein de son comité exécutif, composé de douze membres, avec cinq directions de chaînes ayant des objectifs à la fois éditoriaux et économiques. La mixité sera de rigueur aux postes dirigeants et non plus seulement au cœur des programmes.

 

Sont ainsi nommées Laeticia Recayte à la direction du dévéloppement commercial, chargée du «lancement d’une politique commerciale offensive, consacrée tant à la commercialisation des droits qu’à la coproduction internationale», ou Caroline Got à la direction générale déléguée à la stratégie des programmes du groupe.

 

Du côté des chaînes, Dana Hastier reste à la tête de France 3 tandis que Vincent Meslet prend la direction exécutive de France 2, Michel Field celle France 5 et Tiphaine de Raguenel celle de France 4. De son côté, Nilou Soyeux, ex-Orange, devient directrice de la communication (externe et interne), en charge de la RSE (responsabilité sociétale et environnementale). Sur les discriminations hommes-femmes comme sur le handicap ou les contrats de génération, Marc Chauvelot estime que, jusque-là, «les engagements sont bons mais insuffisamment suivis d’effets». Dans l’encadrement journalistique, rapporte le SNJ, la part des femmes «dépasse à peine le quart des effectifs» alors que l’objectif est d’un tiers fin 2015. Le différentiel salarial est en moyenne de 8%, dixit la direction, qui précise que 177 femmes ont fait l’objet de mesures pour corriger cet écart et que la parité est assurée pour la formation des cadres à potentiel.

S'agissant du plan «Info 2015», qui reste critiqué par les syndicats - le SNJ-CGT le qualifie de «vrai risque pour le pluralisme» - Delphine Ernotte vient de confirmer dans ses fonctions, selon Le Monde, Pascal Golomer, qui assurait l'intérim de la direction de l'information depuis le départ de Thierry Thuillier, le 1er juin. Il aura à travailler sur le projet de chaîne d'information en continu et ne devrait pas remettre en question la fusion des rédactions nationales de France 2 et France 3, prévue dans le plan. «Le succès de l’information à France Télévisions est un atout considérable pour bâtir la première rédaction d’Europe avec le projet Info 2015 et lancer une chaîne d’information continue dédiée au décryptage et à la compréhension», assure un communiqué de la présidence le 24 août.«La pertinence du projet n'est contestée par personne. On souhaite préserver l'identité des éditions de chaque chaîne ainsi que l'indépendance de l'information de France Télévisions», confiait Patrice Papet fin juin.

Cela n'a pas suffit à convaincre le syndicat des journalistes (SNJ) de France Télévisions qui a réagi le 22 juillet dans un communiqué en fustigeant une «très mauvaise nouvelle»:

«La présidente de France Télévisions a fait le choix de la continuité en nommant à la direction de l’information Pascal Golomer, le légataire universel de son prédécesseur Thierry Thuillier. L’équipe actuelle semble donc confortée. Une équipe pourtant responsable du management brutal à France 2, de la course aux directs et de la généralisation des sujets « en kit ». Une équipe qui œuvre aussi à l’affaiblissement de l’info nationale de France 3. « Info 2015″ voit donc ses pères fondateurs renforcés au sein de la stratégie Ernotte».

En revanche, la nouvelle patronne ne devrait pas rencontrer de difficultés majeures du côté des syndicats de France Télévisions pour la mise en place de synergies dans le numérique avec les groupes Radio France et France Médias Monde. «Nous n'avons pas de tabous particuliers sur les outils convergents», note Marc Chauvelot.

Priorité à la GPEC

Delphine Ernotte souhaite «remobiliser les collaborateurs autour leurs valeurs» avec une vision fédératice. Elle promet des «assises» selon un processus décentralisé. Patrice Papet reconnaît qu’il est «impératif de donner du sens aux actions qu’on engage». Le dernier baromètre social témoigne d’une amélioration de la confiance envers l’encadrement mais aussi d’une carence en communication interne: «On n’a pas explicité au départ la finalité de la réforme de l’entreprise unique».

 

Enfin, la future patronne entend donner la priorité à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Elle veut faire une place à l’évolution des métiers en sortant d’un «mille-feuilles statutaire et managérial». Objectif: changer les modes de travail en vue d’une «transformation numérique». «Il faut aujourd’hui réussir la convergence entre la télévision linéaire traditionnelle et la création numérique, en embarquant pleinement l’évolution des métiers», assure le communiqué de la présidence en date du 24 août. Le DRH souligne que le choix a été fait de recruter des experts digitaux, fonctionnant en vase clos, mais avec l’objectif d’essaimer. «La volonté que la culture du numérique soit répandue dans toute l’entreprise est légitime», reconnaît-il. Avant, selon lui, c’était «illusoire». Ces derniers mois, France Télévisions a pris la mesure de ce chantier avec un outil e-learning ou des conférences. L’idée est que la formation (4,8% de la masse salariale) s’inscrive dans cette GPEC. On en est, semble-t-il, encore loin.

«Le numérique, un espace commun»

 

Louis-Cyrille Trébuchet, consultant spécialisé dans les médias et les entreprises culturelles, est le co-auteur d'une note de Terra Nova appelant à une adaptation technologique de l'audiovisuel public.



Votre note s'intitule «Audiovisuel public: tous ensemble vers le numérique». Est-ce que vous préconisez un modèle à la BBC?

Louis-Cyrille Trébuchet. Il ne s'agit pas de relancer un débat sur l'ORTF mais de poser la question d'un audiovisuel public unifié dans le numérique. Ce serait un vrai plus pour l'usager. Dans un environnement mondialisé, face à des groupes puissants, il faut être bien référencé si l'on veut arriver en haut des moteurs de recherche. En regroupant les offres numériques, on les met davantage en valeur.

 

Comment cela doit-il se traduire en termes de compétences?

L.-C.T. Chez les différents acteurs, il y a des directions des nouveaux médias mais chacun ne dispose pas de tout le savoir-faire. Je ne suis pas sûr que Radio France ou TV5, spécialiste des réseaux sociaux, disposent des mêmes compétences que France Télévisions en matière de créations numériques ou de l'INA pour ce qui est de l'indexation des contenus.  On a aussi des capacités de développement, mais du mal à fidéliser les talents. Une entité commune - qui n'empêche pas que chacun développe des offres spécifiques, éphémères ou différenciées - permettrait d'aller beaucoup plus vite pour développer de nouveaux services.



S'agit-il de dégager des économies dans des budgets sous contrainte?

L.-C.T. Ce n'est pas le fond de notre projet. Il se trouve qu'il génère des économies. On peut envisager des synergies avec des contrats globaux de distribution ou d'hébergement. Et on ne coupe pas à des mutualisations sur le news avec des offres communes et des thématiques transverses. Mais l'important est d'offrir un meilleur service. C'est en étant attractif, au cœur d'un écosystème, avec un mode de management peut être plus moderne, que l'on attire les talents. La problématique de rémunération n'est pas essentielle.

 

 

Encadré :

 

Les effets pervers de l'intégration

Pour s'attaquer à la précarité, France Télévisions a l'objectif de ramener de 19 à 15% la part des emplois non permanents (CDD d'intermittents) à la fin 2015. «Nous en sommes à 14-15%, on va pouvoir aller plus loin», se réjouit le DRH Patrice Papet. En s'appuyant sur la pyramide des âges des départs en retraite, l'entreprise devrait continuer à intégrer des CDD, comme elle l'a fait pour 1200 d'entre eux depuis 2010, dont un quart à la suite d'un contentieux. Selon la CGT, ces requalifications ont abouti un «plan social silencieux» portant sur 700 équivalents temps plein. «Un grand nombre de non permanents ont été priés d'aller se faire précariser ailleurs, et nous avons 350 dossiers aux Prud'hommes qu'on gagne à chaque fois», souligne son délégué Marc Chauvelot.

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