Etude
Le cerveau des hyperconnectés serait multitâche, capable de «switcher» d’une information à l’autre ? Une illusion, selon les travaux de Caroline Cuny, professeure de marketing à Grenoble Ecole de management.

«Les digital natives sont-ils mieux armés que les autres pour faire face à la surcharge d’information et au zapping permanent? Dans le passé, des études ont apporté des réponses contrastées à cette question. Il y a d’abord eu les travaux des professeurs Ophir, Nass et Wagner, en 2009, de la National Academy of Science concluant que les digital natives pouvaient faire plusieurs choses à la fois (multitasking). Une autre étude, menée par Al-Zahabi et Becker en 2013, relevait à l’inverse que les digital natives ne sont pas meilleurs sur le plan multitâche, mais savent très bien switcher d’une information à une autre. Nous nous sommes demandé pourquoi il y avait une différence importante dans les résultats entre 2009 et 2013, et si cela voulait dire que les digital natives avaient «muté» en quatre ans ? Ou était-ce juste un problème de sélection des étudiants ayant participé à ces travaux? 

Pas d'effet générationnel

Notre étude s’est effectuée dans le cadre de la chaire Digital natives GEM/Orange, entre novembre 2013 et juin 2014. Nous avons constitué quatre groupes: des digital natives connectés et des non-connectés, et des profils plus âgés également connectés ou pas. Ces quatre panels ont été soumis à un test d’une quinzaine de minutes : à la fois sur les effets de switch d’une information à une autre, et sur leurs capacités à gérer plusieurs tâches de front.  
Résultats de l’étude : si les digital natives s’avèrent plus rapides que leurs aînés, en revanche, ils ne sont pas meilleurs ni en matière de switch ni de multitasking. Etonnamment, seuls les digital natives peu connectés affichent des performances meilleures dans des activités multitâches que tous les autres: le fait de devoir faire face à plusieurs missions en parallèle ne les perturbe pas. Il n’y a pas non plus d’effet générationnel: les jeunes connectés ne sont pas meilleurs que leurs aînés également connectés, aussi bien en multitasking qu’en switch. Digital native très connecté ou pas, tout le monde a du mal avec le multitasking. 

Outils numériques

En parallèle, nous avons mené une autre étude sur nos propres étudiants, divisés en deux groupes, équipés, ou non, d’outils numériques: nous leur avons fait visionner une vidéo de trente minutes, puis nous leur avons posé des questions dessus. Premier constat : dans le groupe sans outil, 65 % ont pris des notes, contre 5 % dans l’autre. Et les étudiants qui n’avaient pas droit à leur équipement numérique se sont nettement mieux approprié l’information reçue : meilleure mémorisation, réflexion et capacité à formuler des réponses plus élaborées.
Conclusion, l’usage intensif des outils numériques ne développe pas de capacités nouvelles permettant d’être plus performant en multitasking ou en “switch”... Si l’on a l’impression d’être plus efficace face à une orgie d’informations, c’est juste une illusion...»

La prof

Docteure en psychologie cognitive de l'université Lyon II, Caroline Cuny a travaillé chez Mars, comme manager des recherches en sciences humaines, sur des problématiques marketing, mesure et prédiction d’efficacité publicitaire. Devenue  prof de marketing à Grenoble Ecole de Management (GEM), elle est conseiller scientifique de la chaire « digital natives GEM/Orange » depuis janvier 2015. La chaire s’intéresse à cette génération de nouveaux talents et à la transformation numérique de l’entreprise. (www.talent-digital.fr/)  

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.