Métier
Le chief digital officier, ou directeur du digital, n’en finit plus d’étendre ses compétences. D’où un renouvellement des profils et un mercato important.

Le Club Med s’offre une super GO du digital: ce mois-ci, Anne Browaeys arrive au siège parisien avec des fonctions de chief marketing digital officer (CMDO). LVMH accueille de son côté Ian Rogers, ex-responsable d'Apple pour ses activités dans la musique, comme CDO, il remplace Thomas Romieu. Il y a plus d’un an, c’était Lubomira Rochet qui prenait la tête du digital de l’Oréal. Il y a donc un renouvellement important pour ces fonctions de directeurs du digital, qui a plusieurs explications. Mais ces managers du numérique sont aussi en train d’écrire une nouvelle page de leur histoire: ils jouent des coudes pour faire leur place au sein du comité de direction et n’en finissent pas d’étendre leurs responsabilités.  

«S’il y a des mouvements de chief digital officer c’est parce qu’il y a beaucoup de demandes sur ces profils, note Marie Laloy, directrice du digital de Citroën. Les grosses entreprises du CAC 40 ont compris qu’il était difficile de trouver ces compétences dans leurs équipes, elles sont obligées d’aller les chercher à l’extérieur.» Et puis il y a une nouvelle donne aujourd’hui: les groupes commencent à comprendre qu’il ne suffit plus de recruter un directeur du digital, il faut lui offrir des marges de manœuvre importantes pour que la greffe prenne et que la mue opère. C’est ce qui se passe actuellement: «J’ai la conviction que “CMDO” c’est le modèle de demain, dit Anne Browaeys. Il faut un pilotage commun et collaboratif avec trois équipes: marketing, digital, direction des systèmes d’information… De nombreux sujets sont à la croisée de ces métiers: le SEO par exemple.»

Tendances opposées

«Aujourd’hui le CDO casse les silos, travaille en transverse et s’attaque à tous les métiers: marketing, informatique, ressources humaines, formation…, constate Alexia Moity, directrice de l’ECV Digital. Et il siège de plus en plus souvent dans le comité de direction des entreprises.»

Selon Vincent Montet, directeur du digital de l’Efap, si le CDO n’est pas entrepreneurial, pas rattaché au comité exécutif, c’est de la «transformation washing», il n’y aura pas de résultats probants.

Patrick Hoffstetter, directeur de la digital factory de Renault et directeur de l’E-G10 (club de CDO) défend son métier: «Le terme de CDO devient un peu tarte à la crème, tout le monde s’appelle comme ça, même des directeurs marketing avec une appétence pour le digital.» En réalité c’est un métier bien spécifique, de chef d’orchestre. «Cela aboutit à deux tendances opposées, poursuit Patrick Hoffstetter: d’un côté, une globalisation des sujets, et l’on demande au CDO d’élargir son spectre. De l’autre des cas où le digital a pris tellement d’envergure que le CDO décide de re-dispatcher les responsabilités en fonction des sujets: chez Axa, il y a ainsi une digital factory, une digital academy…»

Un élargissement du domaine du digital qui se constate aussi chez Allianz: «Le digital est très liquide, se nourrit d’une transversalité dans l’entreprise, il faut réussir à gommer les frontières, créer du lien entre les métiers existants, affirme Delphine Asseraf, directrice du digital de l’assureur. Nous travaillons en plateau, avec une même unité de lieu sur tous les projets digitaux.» Un point de vue partagé par Anne Browaeys: «Le directeur du digital doit être capable de déployer des méthodes agiles dans l’ensemble de l’organisation.»

Et puis, le CDO doit produire assez rapidement des résultats, d’autant qu’il est au cœur de la plupart des business: «Aujourd’hui 94% des gens qui souhaitent acheter une auto passent par le digital, note ainsi Marie Laloy de Citroën. On n'a jamais été aussi loin dans le suivi des performances marketing qu’avec le digital: le CDO doit miser sur son cerveau gauche (créatif et artistique) et sur son cerveau droit (plus scientifique, data).»

D’ailleurs la data contribue encore à cet élargissement de la fonction de CDO: le manager du digital est attendu aussi sur ces compétences-là: il a intégré le social media, et maintenant c’est la data et le CRM. «Le CDO doit avoir une compréhension des mégabases de données et doit savoir comment les connecter entre elles», poursuit Marie Laloy.

Enfin le CDO doit aussi être un guide dans l’acquisition et l’intégration de nouvelles expertises : data-scientist, UX designer...

Chiffres clés

200 à 350 K euros (fixe plus bonus). Rémunération d’un chief digital officer dont l’entreprise appartient au SBF 120. (Source: Blue Search)

 

Avis d’expert:

Pierre Cannet, fondateur de Blue Search et délégué général du club des DRH du digital

 

Peut-on parler de «mercato» des CDO?

Pierre Cannet. Ces créations de postes de directeur du digital ne sont pas récentes, mais il y a une intensification des chaises musicales et des transferts d’un secteur à un autre: des GAFA vers les entreprises et des groupes vers les Gafa. Par exemple Flavien D’Audiffret, ex responsable des boutiques beauté d’Amazon est devenu directeur digital et CRM de Sandro Maje Claudie Pierlot. Ce mercato n’est plus seulement lié à des créations de postes, mais aussi à des départs.

 

Pourquoi les CDO bougent-ils?

P.C. Les raisons pour lesquelles ils migrent tiennent souvent à leur champ d’action dans l’entreprise: ils peuvent se sentir à l’étroit, estimer qu’ils n’ont pas assez de latitude pour mener à bien la transformation digitale. Leur poste doit prendre aujourd’hui la forme d’un triangle magique : un rattachement au sommet (direction générale), une base solide avec des équipes à mener et un business à gérer. Dans tous les cas le CDO n’est pas un poste où il faut rester trop longtemps: trois ou quatre ans maximum.

 

Combien gagne un directeur du digital aujourd’hui?

P.C. La tendance est à l’alignement de leur rémunération sur leurs homologues du Comex : aujourd’hui un chief digital officer d’une entreprise du SBF 120 gagne entre 200 et 350 K euros (fixe plus bonus). Selon le périmètre de son poste et son intégration ou pas au comité exécutif.

 

 

La fin du CDO?

«Notre mission de transformation durera deux à trois ans, estime Anne Browaeys, qui arrive fin octobre comme «CMDO » au Club Med. Dans trois ans, il faudra probablement réinventer notre métier.» La directrice de l’ECV Digital, Alexia Moity voit le métier de CDO évoluer: «A terme il s’agira sans doute plus de piloter, stimuler l’innovation, la R&D de l’entreprise». Et Vincent Montet, directeur du digital de l’Efap complète: «Ce métier n’est pas pérenne dans tous les cas. Soit le CDO peut finir par prendre la direction marketing de l’entreprise. Soit parfois ce sera l’inverse: le directeur marketing, voyant que le digital représente plus de 50% de son activité, va demander à le chapeauter.»

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