Management
Dans un environnement plus complexe et incertain, les coachs accompagnent la mutation du métier de dirigeant vers un leadership plus ouvert, reposant sur une vision partagée et une plus grande implication émotionnelle.

En prise directe avec les dirigeants, les coachs vivent au quotidien la transformation des entreprises. Un véritable bouleversement, estime Marie-Hélène Boyer Duberga, directrice de Lee Hecht Harrisson Dirigeants: «L’écosystème des entreprises s’est élargi et la concurrence peut émerger de partout. Les équipes ne sont plus bornées par des frontières physiques. Elles se constituent au gré des projets et ne fonctionnent plus seulement à base de liens hiérarchiques.» Revue de détails des nouvelles tendances qui agitent le coaching des dirigeants.

Sous tension permanente

La pression sur les dirigeants atteint des sommets, déplore François Souweine, directeur général de l’Académie du Coaching: «Ils font du 7h-21h et travaillent chez eux le week-end. Sous tension permanente, ils sont dans l’impossibilité de réfléchir. Ils n’ont plus le temps d’écouter leurs collaborateurs ou de regarder derrière les résultats, ils ne peuvent pas se pencher sur les problèmes qu’a rencontrés la personne qui a eu tel ou tel résultat. Les conséquences sont de trois ordres: démotivation, conséquences sur le psychisme et coûts pour l’entreprise. Le secteur privé dépense 60 milliards d’euros du fait des absences pour maladie.»

Intelligence des situations mouvantes

Dans un tel environnement, passer de manager à leader relève de la gageure, souligne Mylena Ljubic, ancienne dirigeante de TBWA devenue consultante: «C’est un véritable changement de logiciel. Le dirigeant doit faire émerger sa vision personnelle du leadership mais aussi faire évoluer son équipe et son organisation, les faire grandir et les rendre plus performants par rapport à sa vision.» Constatant l’irrémédiable disparition du dirigeant traditionnel «command and control», elle postule que l’efficacité exige désormais «une intelligence des situations» et la «capacité à engager les individus et les équipes dans des environnements mouvants».

Un défi d’autant plus difficile à relever que toute période transitoire a disparu. «Le dirigeant doit désormais endosser son costume dès son entrée en fonction et dans chaque interaction avec l’éco-système, souligne Marie-Hélène Boyer Duberga. Il y a une vraie urgence à réussir vite qui se joue sur la posture plutôt que les résultats. Le savoir-être devient plus important que le savoir-faire. Être soi-même, tout en assumant des responsabilités et des contraintes nouvelles devient un enjeu.»

Capacité à se connecter aux autres

Il reste malgré tout des points intangibles, rappelle Sylvie Ray-Hugues, directrice de Leroy Dirigeants et executive coach: «Devenir dirigeant, c’est passer de l’opérationnel ou de l’expertise à une contribution transversale, ce qui implique de faire évoluer sa vision, sa posture et sa pratique. C’est un vrai bouleversement. Il faut se déposséder de certaines pratiques pour aller vers la prise de décision stratégique, passer de l’expertise à la vision.»
Aujourd’hui, la transformation est encore plus exigeante car le dirigeant doit développer une intelligence émotionnelle. «Ils doivent augmenter leur capacité à se connecter aux autres et les faire se connecter entre eux. Cette demande de développement de l’intelligence émotionnelle est plus forte depuis une dizaine d'années», estime Sylvie Ray-Hugues.
La solitude qu’implique la fonction, autrefois synonyme de tour d’ivoire, n’est toutefois plus de mise. «Tous les dirigeants doivent communiquer mais aussi prendre conscience de l’impact de leur communication», assure Marie-Hélène Boyer Duberga. À l’ère digitale, cette exigence nouvelle implique parfois un accompagnement, constate Valérie Rocoplan, dirigeante de Talentis: «Ils ne sont pas toujours à l’aise. Nous les accompagnons car les outils digitaux sont indispensables pour comprendre les marchés et les clients.»

Les femmes face aux «parois» de verre

Sylvie Ray-Hugues, directrice de Leroy Dirigeants et executive coach, insiste aussi sur la nécessité d'assurer un traitement spécifique au féminin. «Le coaching des femmes est différent et présente des problématiques différentes», estime-t-elle. Les femmes sont en effet confrontées au plafond de verre, qui freine leur accession aux postes de direction les plus élevées, mais aussi aux «parois de verre», qui les orientent vers directions de la communication, des RH ou de l’administration, réservant aux hommes des domaines comme les finances ou la production, plus en phase avec la direction opérationnelle de l'entreprise. Les femmes ayant par ailleurs plus de difficulté à exprimer leurs souhaits d’évolution de carrière, le coaching se déploie dans une autre configuration, explique Sylvie Ray-Hugues: «Pour identifier les éléments capables de libérer la puissance de ces femmes et leur permettre d’atteindre les fonctions situées au-delà des plafonds ou parois de verre, il faut travailler sur l’identité, les ressources, la légitimité et les capacités de communication à mobiliser.

«Le métier de dirigeant va se transformer»

Pour Patrick Dugois, dirigeant de Athanor Executive Coaching, et co-auteur, avec Philippe Béon et Thierry Gauthron de La Transformation Permanente, le métier de dirigeant est au seuil d’une transformation.


Pourquoi estimez-vous que les entreprises sont à un «point de bascule»?

Patrick Dugois. Les entreprises sont massivement impactées par la complexité de sorte qu’elles «savent» de moins en moins. Longtemps elles ont répondu à ce défi par des modèles mais nous sommes maintenant à un point de bascule. Leur environnement génère désormais trop d’incertitudes et d’ambiguïté et elles vont devoir gagner en mouvement et en fluidité.

 

Quel est l’impact sur les dirigeants?

P.D. Dans des organisations toujours plus complexes, les dirigeants ont dû se résoudre à plus d’humilité mais c’est tellement difficile qu’ils ont pris des coachs. Maintenant commence une nouvelle étape où le dirigeant ne peut plus remplir sa mission seul car c’est le collectif qui a les réponses. Il y a un mouvement de décentrage qui place le dirigeant en position de coach comme l’illustre le livre de Vineet Nayar: Employees first, customers second. Le collectif est devenu un facteur clef du fait de la complexité mais aussi de la dématérialisation. La plus value des organisations est désormais dans la tête des gens: c’est le savoir, l’expertise, les idées qui créent la valeur. La génération Y renforce encore cette dimension. Le grand enjeu pour le dirigeant est de créer les conditions du succès. Le PDG qui sait et qui commande est mort. Aujourd’hui, le dirigeant ne peut plus être un expert, il doit trouver une autre légitimité, être le garant du cadre et des règles en faisant preuve d’exemplarité. Mais la transformation du métier de dirigeant est encore devant nous.  

 

Redéfinition du métier de coach

Les nouveaux défis auxquels sont confrontés les dirigeants viennent aussi bousculer les coachs, assure Valérie Rocoplan: «Ils vont devoir développer des compétences pour comprendre les mutations économiques, sociologiques, technologiques et socio-politiques. Le coaching actuel, centré sur le développement personnel, va devoir évoluer, sortir du one-to-one pour aller coacher des collaborations et des communautés. Les compétences de facilitation devront être développées.» Le coach devient ainsi un conciliateur entre la fonction et la personnalité, comme dit François Souweine: «Dans beaucoup de cas, les dirigeants font ce qu’ils ont choisi mais ils ne sont plus eux-mêmes. Il faut leur réapprendre l’estime d’eux-mêmes, mais aussi à travailler avec des émotions et pas seulement le rationnel.»

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