Etude
Selon une étude menée par V com V auprès de 170 journalistes, les patrons des entreprises de la sphère publique sont «sous tension». Ceux qui s'en sortent le mieux? Les vrais patrons managers à l'image de Stéphane Richard.

«Pour faire tomber quelques poils du mammouth, il faut mieux éviter de le prendre rebrousse-poil», sourit Vincent de La Vaissière. Son étude bisannuelle V com V, menée auprès de 170 journalistes à propos de 53 dirigeants d'entreprises publiques ou dans lesquelles l'Etat à une participation, consacre l'avènement des patrons collégiaux qui se distinguent par un fort esprit managérial. En tête du podium, deux PDG qui tiennent les rênes de groupes ayant de nombreux effectifs: Stéphane Richard à Orange (97 000 salariés en France) et Philippe Wahl à La Poste (253 000 collaborateurs). Le premier est le mieux noté en raison notamment de sa capacité à dialoguer dans l'entreprise et à composer avec le corps social depuis la crise des suicides. Il est aussi celui qui est apparu le mieux à même d'orchestrer la consolidation des télécoms malgré l'échec récent de ses négociations sur Bouygues Telecom. Le second est engagé dans la réforme de La Poste en cultivant une incarnation interne très forte, faisant le tour des postiers et éteignant les débuts d'incendie afin d'éviter les grèves. «C'est un management apaisé qui fait avancer, relève Vincent de La Vaissière, l'un et l'autre n'auraient pas pu mener leur action sans le soutien d'une base solide et confortée.»
Fabienne Dulac, à la tête d'Orange France, confirme l'image d'un Stéphane Richard attaché à comprendre les métiers de son entreprise et la réalité des activités qu'il opère: «Il ne venait pas du monde des télécoms et il a appris des salariés en allant à leur rencontre, dit-elle. Son management est fondé sur l'écoute et l'engagement: il décide en fonction de ce qu'il a entendu, responsabilise beaucoup et dit ce qu'il pense de façon extrêmement claire, sans double discours.» Selon elle, ce sentiment d'être écouté s'est révélé encore plus important que l'arrêt des mobilités forcées, à l'origine de divorces et de drames internes. Les shows Hello, que le patron d'Orange a mis en place tous les ans, ont eu par ailleurs pour effet de remettre l'innovation en vitrine et de redonner confiance et fierté aux collaborateurs.

Les héros sont fatigués

Philippe Wahl, de son côté, a su mobiliser les énergies de son groupe afin de lui faire prendre les virages nécessaires. Les journalistes lui reconnaissent une faculté d'assurer une mutation numérique ou à mener des expérimentations comme la livraison de colis le dimanche ou le passage du permis de conduire avec des postiers. Il est aussi salué pour sa capacité à mener des chantiers en profondeur comme l'évolution des personnels vers le métier de conseillers de la Banque postale. «Il ne donne pas aux salariés le sentiment de leur forcer la main», note Vincent de La Vaissière. L'innovation est d'ailleurs partagée à la Poste à travers des concours internes.
L'étude V com V révèle aussi de bonnes surprises comme le leadership pris par des patrons d'autorités de contrôle tels Bruno Lasserre (4e, Autorité de la concurrence) et même Sébastien Soriano (20e, Arcep). Tout en cultivant un aspect collégial, ils ont donné leur pleine dimension à leur entité administrative. Ils contrastent avec Olivier Shrameck (CSA) dernier du classement en raison des critiques qu'il suscite sur son opacité lors de la nomination du patron de France Télévisions et les désaveux juridiques de la part son Conseil d'Etat d'origine (LCI, Numéro 23).
Côté déceptions, l'étude pointe aussi le déclassement de Guillaume Pepy (34e, SNCF) et de Gérard Mestrallet (43e, Engie). «Les héros sont fatigués», résume le fondateur de V com V. Pour le premier, le déraillement tragique du TGV en Alsace, le 14 novembre, est selon lui «l'illustration d'une déliquescence de l'encadrement». Et d'une maison mal tenue. Comme au patron d'Engie, il lui reconnaît une forte incarnation, une excellente communication, un leadership incontesté et un attachement à son groupe. Mais le revers de la médaille est managérial. On reproche à ces patrons anciens de diviser pour régner, d'avoir du mal à trouver un successeur et de faire le vide autour d'eux.
Enfin, Alexandre de Juniac, qui vient de quitter Air France KLM (47e), et Mathieu Gallet de Radio France (avant-dernier), paient leur bilan de piètre manager. Le premier s'est retrouvé dans une situation de blocage avec les syndicats et, in fine, n'a pu mettre fin à la cogestion avec les pilotes. Quant au second, sa tentative de passage en force a abouti à une longue grève et à la défiance du gouvernement. «Confrontées à une triple rupture technologique, stratégique et managériale, les entreprises de la sphère publique n'ont jamais été à ce point mise sous tension, conclut Vincent de La Vaissière. Leurs patrons doivent être de bons tacticiens pour composer avec l'Etat actionnaire, pratiquer un management par adhésion, non coercitif, et enfin être cash, sans langue de bois». Pas toujours évident face à un partenaire étatique «schizophrène et déstabilisateur».

«Je suis rarement trahi»

 

Christophe Piednoël, directeur de l'information de la SNCF, est le mieux noté des dircoms selon V com V. Pas son patron.

 

Êtes vous le porte-parole de Guillaume Pepy ou seulement de la SNCF?

Je suis porte-parole d'une entreprise très soumise aux aléas de son actualité. C’est l’entreprise la plus médiatisée de France, et de loin! Je suis donc habilité à réagir en ON. Face aux médias, notamment de temps court, j'essaye d'être disponible et de tenir compte de leurs contraintes. Etre porte-parole permet de donner rapidement le point de vue de l’entreprise sur les réseaux sociaux, en radio, en TV. Le communiqué de presse avec un long processus interne de validation, c’est terminé. En ce qui concerne mon patron, nous sommes plus sur le terrain de l'influence et du off. Mon rôle est de traduire et de répercuter sa vision stratégique. Je ne mens jamais et les journalistes le savent. Je suis rarement trahi et c'est réciproque. Je respecte les points de vue et ne corrige que les erreurs factuelles.

 

L'image sociale est-elle importante pour Guillaume Pepy? Il recule dans le classement de V com V...

Il y a un possible effet de lassitude et les journalistes adorent brûler ce qu'ils ont adoré. On lèche, on lâche, on lynche...! Pour ce qui est de l'image managériale, elle est pour lui nécessaire mais pas suffisante. C'est un patron qui incarne profondément l'entreprise et c'est une vraie force. Il a un management collectif et s'inscrit dans la concertation. SNCF a signé 20 accords sociaux en 2015.
 

L'accident d'Eckwersheim traduit-il une crise de gouvernance ou d'encadrement à la SNCF?

Ce sera à la justice de le dire. Il faut faire la part des choses entre les facteurs organisationnels et humains. Marier juridique et communication est souvent complexe. En droit, tout ce que vous dites peut être retenu contre vous. En communication, tout ce que vous ne dites pas peut être retenu contre vous.

 

L'image ambiguë de Delphine Ernotte

A la 33e place de la classement de V com V, la présidente de France Télévisions est vue de manière double. On lui reconnaît un désir de «cohésion sociale» et le souci de créer une «communauté d'intérêts» et «un esprit de corps», comme elle l'avait fait chez Orange. «Elle sera meilleure que Gallet pour construire un consensus en interne», dit par exemple un journaliste. Mais cette «manager hors pair», désireuse d'agir, est aussi perçue comme une femme de clan, au parler «cash» susceptible de retourner contre elle les syndicats. Le choix de Michel Field est en cela révélateur d'un état d'esprit. Quelques paroles à l'emporte-pièce du directeur de l'information ont mis le feu aux poudres. Une motion de défiance était votée contre lui le 19 avril.

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