Formation
L’école Hétic, qui prépare aux jobs du web, incube et forme depuis le début de l’année des étudiants youtubeurs. Mais youtubeur, est-ce vraiment un métier?

«A la maison, je n’avais pas de bonne caméra, ni une connexion suffisante, ni même un logiciel de montage… Ma production était donc très limitée et la qualité de mes vidéos était… discutable», sourit Pierre Trotsky, alias PierreTrot, jeune homme discret de 21 ans, fier d’une communauté de 30 000 abonnés sur sa chaîne You Tube. «Ici, j’ai tous les outils à ma disposition.» Ici, c’est Hétic (1), école créée en 2001 qui forme chaque année 850 étudiants aux métiers du web et du multimédia. En plein cœur de Montreuil (Seine-Saint-Denis), dans des locaux chaleureux, règne une ambiance start-up. Et pour cause, «en troisième année, 80% de nos étudiants sont entrepreneurs», note Damien Jordan, responsable digital de l’école. Leurs projets sont très divers, du lancement d’une application au consulting en passant par la gestion de projet. D’autres prévoient de vivre de leur chaîne You Tube. Depuis cette année, Hétic met à disposition de ses étudiants youtubeurs une salle particulière, du matériel de pointe ou encore un fond vert. Surtout, au fil de leur cursus, ils bénéficient de modules pour les accompagner dans leur activité: montage, business development, marketing, communication, mesures et analyses de l’audience, référencement… Tout pour gérer son projet comme un vrai métier. 

«On se rend compte aujourd'hui que le public recherche un contenu de plus en plus professionnel», révèle Julien Dachaud, alias Newtiteuf, ancien «Héticien» qui consacre désormais sa vie professionnelle à sa communauté You Tube de 638 000 abonnés. Ces dernières années, en effet, de grands groupes audiovisuels (Canal+, M6Webedia…) ont investi dans des MCN (Multi-Channel Networks, soit réseaux de chaînes), allouant aux jeunes stars de la vidéo en ligne des budgets et des moyens de production conséquents. L’amateurisme sympathique qui a fait le succès de la première génération de youtubeurs est aujourd’hui révolu. «Cela devient plus compliqué pour quelqu’un qui débute, explique Julien Dachaud. Ses contenus vont être noyés au milieu de vidéos très travaillées aussi bien dans le son, l’image, le montage, les décors, les effets spéciaux, etc.»

Ouverture et polyvalence

Cette professionnalisation se constate à la fois dans la qualité de production des vidéos, digne de certaines émissions de télévision, mais également dans la manière de nouer des partenariats avec les marques. «Les besoins de conseils et de formations se font de plus en plus pressants, confirme Stéphane Bouillet, fondateur d'Influence 4 You, agence spécialisée dans les youtubeurs. Souvent passionnés et jeunes, ils ne maîtrisent pas toutes les techniques et compétences pour accélérer et monétiser leur audience.» De nombreuses structures proposent de les former. 

«C’est une valeur ajoutée, mais ce n’est pas indispensable», nuance Lucie Zévaco, youtubeuse beauté, qui s’est «construite toute seule au début», et étudiante en deuxième année au sein d’Hétic. «De nombreux youtubeurs s’en sortent sans cet accompagnement, mais ce que l’on apprend ici sont des compétences pour exercer cette activité», ajoute celle qui ne pense pas devenir youtubeuse professionnelle. Dans tous les cas, les étudiants Hétic auront d’autres cordes à leur arc: en effet, dans cette école, il n’y a ni spécialisation ni option, et tous les étudiants suivent des cursus généralistes en 3 ou 5 ans, dans tous les domaines du web. «Cela permet de leur offrir plus d’ouverture et de polyvalence sur l’ensemble de la chaîne de production, explique Damien Jordan. Cette connaissance large des grands sujets liés au web fait la différence sur le marché du travail.»

Tremplin

Car comme remarque Damien Jordan, «une minorité, une élite de youtubeurs», parvient à vivre très bien de cette passion. Bien sûr, c'est le cas des Cyprien, Squeezie, Norman, Natoo, Enjoy phenix et consors. Pour eux, You Tube est bien devenu leur métier et source de revenus numéro un. «Mais la mise en valeur des stars et l’engouement que cela suscite sont trompeurs, conclut le responsable digital de l’école Hétic. En revanche, une page You Tube bien tenue peut constituer un beau tremplin vers d’autres activités: théâtre, cinéma, communication, community management, création d'une ligne de vêtements…»

Avis d’expert

«Le youtubeur est un fédérateur»
Stéphane Bouillet, fondateur d’Influence 4 You, agence spécialisée dans les youtubeurs

Youtubeur, est-ce un métier?

Stéphane Bouillet. Exercer l'activité de youtubeur, cela ne s'improvise pas, car cela nécessite d’avoir accumulé une certaine audience. Je pense que c'est un métier qui requiert des compétences, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas un job directement accessible, car l'audience, cela ne s’achète pas. Les médecins ou avocats doivent suivre une formation pour accéder à leur profession. Le youtubeur, s'il se lance, en général, avec une forme de passion, doit assez vite se perfectionner techniquement, se professionnaliser, sinon il n'émergera jamais. 

Comment définiriez-vous ce job?

S.B. Disons qu’un «vrai» youtubeur est une personne qui crée des vidéos qui ont rencontré ou rencontreront leur public. Tout le monde peut produire des vidéos, mais un youtubeur est celui qui a su fédérer une communauté autour de ses créations. Ces communautés peuvent être très fortes, car les youtubeurs sont suivis sur tous leurs réseaux sociaux: Instagram, Snapchat, etc. Si l’on doit segmenter, disons qu’il y a des youtubeurs «passionnés», qui font cela pour le plaisir de partager leur centre d'intérêt - beauté, gaming, cuisine… -, et des youtubeurs «professionnels» qui, maintenant, vivent de leur passion. Le youtubeur doit posséder de nombreuses compétences qui nécessitent aussi des apprentissages techniques: c’est à la fois un community manager, un scénariste, un producteur, un chef d’entreprise…

 

 

Les formations fleurissent 

Autour du processus de professionnalisation des youtubeurs, de nombreuses structures intermédiaires émergent pour proposer des formations. A commencer par le You Tube Space, qui a ouvert ses portes en France en octobre dernier. Les créateurs sont invités à participer à de multiples ateliers thématiques déstinés à améliorer leur stratégie: «Maximise ton temps de tournage», «Perfectionnement au montage» ou «Tourner solo - special beauty et vlog». Certaines régies se positionnent également sur ce créneau. Influence 4 You, par exemple, organise chaque année un séminaire privé de trois jours, gratuit, pour les youtubeuses. Plus rare, les marques investissant le domaine, comme L'Oréal, qui vient d'inaugurer ce mois son école destinée à former les youtubeurs beauté de demain, baptisée Beauty Tube, qui instruira tout au long de l'année une promotion de dix youtubeuses.

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